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Pologne se trouve ainsi dépendre d’hommes qui, pour la plupart, sont étrangers aux sentiments nationaux.

L’élection pour la présidence de la République était fixée au 9 décembre. Le maréchal Pilsudski, président sortant, déclinait toute candidature ; ne croyant pas pouvoir compter sur les voix de la droite, il ne se résignait pas à devenir l’élu d’une minorité polonaise devenue majorité par l’appoint des voix non polonaises. Des négociations laborieuses furent menées pour trouver un candidat qui pût réunir une majorité polonaise. Le parti dirigé par M. Witos laissa croire qu’il voterait peut-être pour le candidat des droites, le comte Maurice Zamoyski, le sympathique et distingué représentant de la Pologne à Paris ; mais, à l’heure du scrutin, l’Union nationale chrétienne se trouva réduite à ses seules forces ; son candidat obtint 221 voix au premier tour et ne dépassa jamais 228. Après lui venaient M. Wojciechowski avec 105 voix, M. Baudoin de Courtenay avec 103, M. Narutowicz, ministre des Affaires étrangères, 62, M. Daszynski, chef du part socialiste, 49. Au 5e tour de scrutin, M. Narutowicz l’emportait par 289 voix contre 227 au comte Zamoyski.

Dans la rue, ce résultat est très mal accueilli ; une foule, composée surtout d’étudiants, hue le nouvel élu ; une collision s’en suit avec les jeunes gardes révolutionnaires ; il y quatre morts et des blessés. Les nationalistes s’indignent que le chef de l’État puisse être l’élu d’un groupe qui souhaite la dissolution de l’État ; dans tous les parlements, disent-ils, il y a des juifs députés répartis entre les diverses fractions, mais en Pologne seulement il existe des députés juifs formant un parti non pas confessionnel, mais national et racial ; il semble douloureux à leurs cœurs de patriotes que ces Juifs et ces Allemands qui n’ont pas souffert avec eux, qui n’ont rien fait pour la libération de la patrie, exercent une influence prépondérante sur la vie politique de la Pologne. Ils rappellent que, pendant la guerre, M. Narutowicz, comme le maréchal Pilsudski son parent, a été « activiste, » c’est-à-dire a, jusqu’à l’effondrement de la Russie, combattu l’empire des Tsars et espéré la renaissance d’une petite Pologne du bon vouloir des Empires centraux ; ils soutiennent enfin que la Pologne a intérêt à chercher, dès qu’elle deviendra possible, une entente avec la Russie pour pouvoir opposer toutes les forces nationales à la poussée germanique. Tels étaient les sentiments qui, après l’élection de M. Narutowicz, agitaient l’opinion et dont l’exaltation troubla le cerveau malade_ d’un peintre nommé Nieviadomski et arma son bras. Sept jours après son élection, le 13 décembre,