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soit à constituer des réserves à l’étranger, soit en constructions neuves, en machines, en chemins de fer, en préparatifs de toute sorte pour la grande offensive industrielle qui doit suivre la crise. Le calcul se fût peut-être trouvé juste si, grâce aux Keynes et aux Lloyd George, la question des réparations eût été plus rapidement liquidée ou plutôt enterrée ; mais la France a résisté et la chute du mark met aujourd’hui l’Allemagne en face d’un terrible danger. Elle a vécu sur son capital, elle a ruiné chez elle tout pouvoir de crédit, avilissant sa monnaie pour sauver les valeurs réelles, c’est-à-dire la capacité de production. Le navire fait eau et menace de couler à pic, mais la riche cargaison est toujours à bord et les machines motrices sont en bon état. Si les intrigues des Allemands et la pression de leurs amis amenaient le Gouvernement français à renoncer aux réparations ou, ce qui reviendrait au même, à ne pas se nantir de gages et même à évacuer la Rhénanie, on verrait le peuple allemand, qui paie beaucoup moins d’impôts que l’Anglais, le Belge, l’Italien ou le Français, dans une situation tellement privilégiée qu’il écraserait ses concurrents. Est-ce un tel résultat que souhaitent les Anglais quand ils réclament la réduction des charges que le Traité fait peser sur l’Allemagne ? Si elle était allégée du fardeau des réparations sans avoir entamé son capital ni compromis ses moyens de production, elle se trouverait toute prête pour la bataille économique qui se prépare et où nous serions, les Anglais et nous, infailliblement vaincus.

Telle est la combinaison qu’espèrent faire aboutir les grands industriels ; il est étrange que certains Anglais en soient dupes. Les Allemands ne sont pas dans une détresse comparable à celle de l’Autriche ; ils peuvent trouver chez eux, et dans les réserves de valeurs-or qu’ils ont constituées à l’étranger, le moyen de couvrir un emprunt intérieur pour la stabilisation du mark. Il s’agit de leur salut avant même de s’agir du nôtre ; mais ils doivent se résigner à associer leur salut à l’idée de réparations ; il faut aussi qu’ils se réduisent à une vie moins fastueuse, qu’ils renoncent aux rêves d’hégémonie et à une politique de revanche qui achèveraient de les ruiner. Rien ne sert de discuter actuellement sur le chiffre des réparations que devrait payer l’Allemagne puisqu’elle n’est pas plus disposée à payer un milliard que cent ou deux cents ; en maintenant intégrales ses revendications, la France rend service à tous ses alliés ; ils oui tous avantage à admettre, si l’Allemagne n’entre pas de bonne volonté dans la voie où son devoir et son intérêt même l’engagent, la nécessité de l’y contraindre.