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mots : honteux emploi de sa nuit pour un soldat en mission ! Puis les deux amants, les deux complices, remis en présence, savourent le plaisir pervers de se dire en face ce que ni l’un, ni l’autre n’ignore : que chacun a guetté l’autre, n’attendant que la minute où le sommeil le lui livrerait. Du devoir patriotique ou de la reconnaissance charnelle, qui l’emportera ? La princesse a promis de se taire ; presque aussitôt, elle dénonce le Français à un soldat allemand qui, par bonheur, se trouve être l’allié des Parisot. Paul, averti, va-t-il faire justice ? L’homme a encore à la lèvre le goût des baisers de l’amante ; le soldat va-t-il exécuter l’ennemie ? Il hésite. Mais Mme Parisot assure qu’elle a trouvé un moyen de tout arranger. Le temps de monter à la chambre de la princesse, une détonation nous apprend quel était ce moyen : la mère s’est chargée de la besogne qui répugnait à son fils... La voici qui redescend, résolue, calme, prête au sort qui l’attend. Car elle sera fusillée, enterrée comme un chien. Mais, quand la Lorraine sera redevenue française, elle veut qu’on ensevelisse pieusement sa dépouille et qu’on grave sur sa tombe ces mots : « Morte pour la France. » — Ce dernier acte est l’acte de la mère. Il achève de camper devant nous ce type de la vieille Lorraine, si émouvant, si humain. Car c’est la patriote qui a tué l’Allemande, sans doute ; mais c’est aussi la mère irritée contre la femme que son fils a aimée de cet amour sauvage, et c’est l’honnête paysanne que l’égarement sensuel de son fils a dégoûtée et révoltée.

Que Terre inhumaine mette dans l’œuvre de M. de Curel une note nouvelle, ce n’est vrai et ne pouvait être vrai qu’en partie. On y retrouve toutes ses idées, sa conception à la fois rudimentaire et quintessenciée de notre nature, mais cette fois sans insistance, sans longueur ; et puis tout est transformé, poétisé par le tragique des circonstances. Comédie de l’instinct sur laquelle planent de nobles fantômes. Chair et guerre, ardeur des sens et folie de la destruction, c’est sur le fond primitif et éternel du drame humain qu’est bâtie cette pièce brutale et superbe.

Terre inhumaine est jouée à la perfection. M. Gauthier est plein d’ardeur conquérante, dans le rôle de Paul Parisot. Mme Kerwich a dessiné du trait le plus sûr la figure de la vieille Lorraine. Et Mme Ève Francis s’est montrée grande comédienne dans le rôle de la princesse allemande, dont elle a su faire un composé subtil de charme hautain et de troublante séduction.


RENE DOUMIC.