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Bien sûr, il s’est muni de faux papiers et d’un faux nom : mais la princesse, que la photographie de ce beau garçon n’a pas laissée indifférente, ne s’y trompe pas. Désormais, Paul se sait démasqué, partant à la merci d’une dénonciation. S’il veut accomplir sa mission, il n’a plus qu’une ressource : supprimer l’Allemande. — Voilà la situation posée, avec une franchise et une décision où on reconnaît la main vigoureuse de M. de Curel. On va soir le parti qu’il a su en tirer.

Cette fois, c’est l’Allemande qui va passer au premier plan. C’est dans son cœur que sera le drame. C’est à démêler la complexité des sentiments qui passent en cyclone dans cette âme de femme, et à en saisir la nuance au passage, que l’art de M. de Curel va faire merveille. Le soir est venu ; Paul Parisot a rejoint la princesse dans sa chambre : le duel s’engage entre ces deux adversaires, dont chacun lit clairement dans le jeu de l’autre. Le Français propose à l’Allemande d’aller, dans la forêt prochaine, assister à la fantasmagorie nocturne : et elle comprend que de cette promenade elle ne reviendrait pas. L’Allemande demande au Français de la laisser porter un mot au village voisin ; et il comprend que ce mot est pour le dénoncer. Cependant la conversation entre cet homme et cette femme, tous deux jeunes et beaux, tourne peu à peu au marivaudage. Marivaudage forcené, tel que le comporte la situation. Jeu cruel, auquel nous sentons que les joueurs commencent à se prendre. Le désir s’est mis de la partie : il ne peut plus manquer d’en devenir le maître. L’Allemande ne saurait avoir aucun doute sur les desseins de son partenaire : elle vient d’apprendre qu’il n’a pas hésité à tuer un vieux paysan qui l’avait reconnu. Mais dans son être bouleversé, le goût de l’aventure, la curiosité, l’appétit d’une sensation nouvelle, alternent avec la peur. Sur ces entrefaites, une lettre lui arrive de son mari ; ce hobereau, qui ne badine pas avec la consigne, enjoint à sa trop tendre épouse de retourner immédiatement à l’arrière : demain matin, à onze heures, un automobile viendra la chercher. Au monde d’émotions qui assaillent cette femme depuis qu’elle est en cette terre inhumaine, — et très humaine, — s’ajoute maintenant le dépit : c’est le besoin de vengeance qui achève sa déroute et la jette aux bras de son ennemi, dans une fureur de sensualité et de haine. — Cet acte, c’est un orage que nous voyons s’amonceler sous nos yeux, une tempête morale dont nous percevons toutes les voix : impossible de pousser plus loin l’acuité de l’analyse, impossible de donner à la psychologie un tour plus dramatique.

Au troisième acte, la mère revoit son fils. Elle ne lui mâche pas les