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C’est en 1916, dans un village de Lorraine annexée. Une vieille dame, à moitié paysanne, y habite une maison à la lisière des bois. L’autorité allemande a choisi cette maison isolée pour y loger une princesse boche, Madame Victoria, nièce de Guillaume, venue, en grand mystère, dans cette zone de guerre, faire une petite visite à son mari, qui commande près de là une division. Une Lorraine, une Française, telle qu’est Mme Parisot, se serait bien passée d’héberger cette indésirable ; mais on ne l’a pas consultée. Pendant qu’on prépare la chambre de la princesse, les deux femmes causent. Conversation ramassée, où tout porte et fait balle. Deux mentalités s’y dessinent, deux races s’y opposent. Madame Victoria n’est qu’une Allemande sentimentale, une grande dame orgueilleuse et qui s’ennuie. Mais dans les phrases courtes et décisives de la vieille Lorraine, c’est toute la Lorraine qui se devine, solide, carrée, entêtée, toute en profondeur et en fidélité. Et c’est, résumée, toute l’histoire de l’occupation allemande. Mme Parisot ne nie pas que l’ordre matériel ait régné pendant ces quarante années : elle nie que, pendant ce long espace de temps, l’Allemagne ait gagné un seul cœur.

Sur la table, un album que l’Allemande feuillette machinalement ; intéressée par une photographie qu’elle devine être celle du fils de la maison, elle questionne Mme Parisot. Celle-ci ne serait pas une mère, si elle ne cédait au besoin de parler de son fils. Elle est fière de l’éducation qu’a reçue ce fils de paysans, et qui en a fait un intellectuel, avocat et conférencier. Bien entendu, il sert dans l’armée française. Les choses ont des larmes, les maisons ont une âme : dans ce milieu où tout lui est hostile, la nièce de Guillaume se sent vaguement gagnée par la peur. Le bruit court qu’un avion français a déposé un espion derrière les lignes allemandes : de cette Lorraine, que le joug allemand a trouvée irréductible, on peut tout craindre.

L’espion n’est autre que Paul Parisot. Hier adolescent timide et qui s’évanouissait à voir le sang du gibier, c’est lui qui s’est chargé de la mission, périlleuse entre toutes, pour laquelle le désignait sa connaissance parfaite du pays. Comme tant d’autres que nous avions connus hommes d’étude et de bureau, la guerre l’a transformé. Venu dans le pays pour y rester vingt-quatre heures et recevoir, d’un soldat allemand au cœur français, des documents importants, le devoir lui interdit-il d’aller embrasser sa vieille mère ? C’est quand même une imprudence, et qui va lui faire rencontrer l’intruse.