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se compare à « ces grandes sœurs que de tout petits frères fatiguent en les entraînant à des jeux qui n’amusent plus. » Elle est déconcertée parmi l’authentique jeunesse. Elle se regarde au miroir et s’y trouve jolie ; elle se souvient de s’être, jadis, regardée à ce miroir avec un amoureux, Jean Derbaud : depuis lors, le tain du miroir s’est marbré, s’est écaillé par endroits. Le miroir a vieilli, non l’image qu’il reflète imparfaitement.

Ce Jean Derbaud, son amoureux d’autrefois, elle le rencontre. Il n’est plus jeune. Il la reconnaît ; du moins, il remarque une étonnante ressemblance d’elle et de la jeune fille qu’elle a été autrefois : il ne peut supposer que l’une et l’autre soient la même. Il l’interroge. Elle dit qu’une Françoise Mérial était sa tante. Et Jean Derbaud retrouve les yeux pareils, les traits, la forme du visage, la même voix. Mais, ajoute-t-il, Françoise Mérial « était moins blonde, et plus grande... — Vous croyez ? — J’en suis sûr. » Elle s’aperçoit de la longueur du temps écoulé : son amoureux d’autrefois a la mémoire un peu altérée, comme est le tain de ce miroir... Jean Derbaud se plaît, en compagnie de Françoise, à conter comme l’autre Françoise et lui s’aimaient bien ; et il s’embrouille, il invente involontairement des souvenirs : il ne le sait pas et, en croyant se rappeler la vérité, il rêve. Elle, Françoise, nouvellement jeune, a meilleure mémoire : « En ce temps-là, se dit-elle, il était plus réservé qu’il ne le croit aujourd’hui et il aimait davantage. Il est certain qu’il a souffert, en ce temps-là. Peut-être ne s’en souvient-il plus exactement ; ou bien préfère-t-il ne pas l’avouer ? C’est dommage ! » Françoise Mérial et Jean Derbaud sont désormais, l’un près de l’autre, des étrangers et, dans le passé même, des étrangers.

Pendant que Mlle Mérial éprouve ainsi la déception d’être jeune, Nicolas Nivard constate durement que « les seules curiosités de l’esprit ne suffisent pas à occuper une jeunesse indéfiniment prolongée. » Ainsi Françoise et lui, elle dans l’essai de la vie tendre et amoureuse, lui dans l’essai de la vie savante et studieuse, ont la même déception. Leur ennui les conduit à ce désespoir : ils souhaitent de mourir et ne savent pas si le bienfait de la mort leur sera jamais accordé. « Mourir, mourir ! » s’écriait Françoise ; et Nivard répond : « Je ne suis pas sûr que nous mourrons ; il n’y a pas de raison pour cela. Depuis vingt-cinq ans, avons-nous changé ? Alors, si cela durait, durait... — Taisez-vous ! réplique Françoise ; ce n’est pas la peine de se donner à soi-même le vertige. » Elle répète : « Le vertige, le vertige... » Ces deux êtres qui sont dispensés du pire tourment de vieillir