Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lumières et des couleurs. Il songe que la nature n’est pas « ennemie de l’éternelle renaissance, » puisque les arbres, tous les ans, recommencent de verdoyer. Les projets de Mlle Mérial ne sont pas ceux du laborieux Nivard. Elle ne s’enferme pas au laboratoire le moins du monde. Elle songe que les animaux et les plantes ignorent la durée : c’est leur chance. Les hommes ont inventé la notion de la durée, qui les attriste. Elle, à présent que la lertine l’a sauvée de la durée, elle est contente. Voire, elle n’a guère envie de promulguer dans l’univers la découverte du bonhomme Lerta : « elle se sent avant tout une femme, une femme riche d’un privilège unique dont elle ne peut s’empêcher d’être jalouse, comme d’un trésor dont l’on voudrait être seule, le plus longtemps possible, à laisser glisser l’or entre ses doigts. » Elle a, un jour, avec Nivard, une excellente causerie. Elle vient de rajeunir, la première ; et Nivard l’examine, en savant, constate une évidente rénovation des tissus, tâte le bras, nouvellement ferme, de la récente jeune fille. Elle s’écrie : « Je ne suis pas un cobaye ! » Et Nivard, surpris : « Je croyais que nous étions lancés dans une expérience d’ordre nettement scientifique... » Il ne plaisante pas. Elle non plus ; mais ils ont deux manières, lui et elle, de ne pas plaisanter en cette occurrence. Nivard ébauchait un diagnostic ; et il s’excuse... « Vous ne m’ennuyez pas, répond Françoise Mérial. Seulement, je suis femme... — Vous étiez, de caractère, presque un homme ? — Oui ; mais, aujourd’hui, j’ai déjà quinze ans de moins ! » Et Nivard sourit, comme vous-même souriez.

L’on voit la donnée de ce roman, que l’auteur pouvait rendre fort gai, même s’il ajoutait ensuite à cette gaieté la mélancolie de ne pas douter que cette Jouvence ne fût vanité, mensonge et duperie. Or, le roman tourne à une tristesse infinie.

La tristesse commence, dès que Françoise Mérial vient à se demander si elle est contente de sa jeunesse. Quand elle était jeune pour la première fois, elle ne se posait pas de telles questions indiscrètes et qui n’obtiennent de réponse que désolante. Elle voit maintenant le plaisir des femmes que l’on félicite en leur disant qu’elles ne changent pas, qu’elles n’ont pas vieilli d’un jour depuis des années ; ces femmes songent : « Pourvu que cela dure ! » et Françoise : « Faut-il que cela dure ? » Pourquoi ne le faudrait-il pas ? Françoise éprouve un étrange malaise, au bout de quelques années, à se sentir « invariable parmi les êtres passagers ; » son visage de jeunesse lui devient un masque étouffant. Ses faux vingt ans ne l’ont rajeunie qu’à moitié ; elle a vécu : cela ne s’efface pas comme des rides. Elle