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jours, ils mettaient un caillou, chaque matin, dans une boîte de conserve : autant de fois sept cailloux, autant de semaines depuis le naufrage. Mais la boîte aux cailloux tombe par terre et les jours tombent dans la durée indéfinie. Dès lors, Ève-Marie et Hervé sont égarés entre les extrémités invisibles de l’espace et du temps. Ève-Marie oublie M. des Conches : « Le mot fiancé n’a de sens que tant que le monde est là, tout autour, pour vous forcer à tenir votre promesse... » Etc. Le conte mène l’aventure d’Hervé Marcoge et de cette fiancée oublieuse à une espèce d’apologue où les rapports de la nature el de la vie parfaitement civilisée sont examinés avec beaucoup d’esprit, de malice et de gaieté un peu plus sérieuse qu’elle ne l’avoue.

Les naufragés de l’Ile déserte ont leurs difficultés principales avec l’espace ; les héros de Jouvence de la Chimère, avec le temps. On les verra, vainqueurs du temps et, d’une autre façon que ce rêveur de Grimaud Vanvole, maîtres du temps. Mais on verra comme le temps est pourtant le plus fort et se venge de qui a prétendu le maîtriser. C’est une histoire très pathétique, une très belle et redoutable histoire.

Un vieux savant, Simon Lerta, meurt quand il vient de découvrir le moyen de ne pas vieillir, de rajeunir même et de rester au point de jeunesse le plus séduisant. Il a deux élèves, Nicolas Nivard, un bon chimiste, sans frivolité, puis une demoiselle Françoise Mérial qui est à l’automne un peu avancé de la vie. Lerta leur a livré sa découverte et laissé le soin de savoir s’il convenait ou non de la divulguer. Mlle Mérial et, bientôt après, Nivard aussi prennent de la « lertine ; » et ils auront vingt ans, chacun vingt ans, un joli âge et qu’on leur envie. Leur intention n’est d’abord que toute scientifique. Lerta, l’inventeur de cette Jouvence, ne l’a point essayée, que sur des animaux. Nivard et Mlle Mérial font une expérience et ne savent pas si l’élixir de jeunesse ne va pas les empoisonner, s’ils ne vont pas mourir pour la science. Mais, quand ils ont vingt ans, c’est un succès pour la science et un plaisir pour eux. Mlle Mérial, lors de ses premiers vingt ans, authentiques ceux-là, aimait à aimer. Elle a été plus d’une fois déçue. Nivard, lui, n’avait de passion que scientifique, la curiosité d’un savant, la plus vive ardeur au laboratoire. Maintenant, Nivard se dit qu’à ce joli âge de vingt ans où il est revenu, il en sait plus el beaucoup plus qu’un jeune homme : et il a devant lui toute une vie interminable pour travailler mieux que personne et tout savoir. Il a de l’entrain. Il admire le printemps, la fraîcheur des