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veuve assez joliment déraisonnable, et son fiancé M. des Conches, lequel serait plus volontiers la prudence même ; et deux ou trois autres personnes. Le Pionnier, dans la région des Iles Hawaï, est pris par la tempête. Une rafale le met en péril. Comme un navire a ses barques de sauvetage, il a ses parachutes de précaution. Eve-Marie et Marcoge se trouvent réunis dans la nacelle d’un parachute que manque maladroitement le fiancé ; ils font tous deux leur descente et les voici dans une île déserte : le Pionnier continue sa course de hasard et l’on ne sait où il sèmera ses autres passagers, ailleurs et peut-être en pleine mer. Ève-Marie n’aime pas du tout ce Marcoge. Au surplus, elle est fiancée ; ne le fût-elle pas, Marcoge lui déplairait encore. Et lui, Marcoge, si une femme l’impatiente, c’est bien elle. A Paris, Marcoge et Eve-Marie ne se verraient jamais ou détesteraient l’inévitable occasion de se rencontrer dans le monde où ils ont de communs amis. Dans une île déserte du Pacifique, leur mutuelle antipathie est une malchance, mais une toute petite malchance, comparée au plus grave inconvénient d’un tel naufrage. Ils ne sont plus exactement M. Hervé Marcoge et Mme Ève-Marie Germier, la fiancée de M. des Conches : ils sont un homme et une femme qui, sans l’avoir voulu, retournent à l’éternelle et immense nature, loin de Paris.

Hervé est simple, robuste et sensé ; il aime à se dire : « Je suis un homme tel que tous les hommes. » Elle n’est pas du tout simple et n’a de meilleur plaisir que de se croire une femme bien différente des autres femmes. Elle dit : « Comme il fait doux ! N’est-ce pas exquis ? Je suis toute surprise d’être si calme. Il y a une sérénité, dans cette nuit d’Océanie, qui semble vouloir anesthésier notre inquiétude. » Ce langage précieux importune Hervé. Il essaye de ne pas répondre. Mais elle : « Qu’en pensez-vous ? » Alors : « Je pense, madame, que vous avez un beau don littéraire, mais que vraiment dans notre situation... » Et bientôt, comme elle insiste : « Vous me fatiguez un peu avec votre philosophie ! » Leurs querelles sont de cette qualité petite. Et puis, au bout du compte, ils font la paix, Ève-Marie s’étant aperçu qu’elle a besoin de ce compagnon, lequel d’ailleurs obtient qu’elle renonce aux vains discours, à l’éloquence et à toute métaphysique, par de ces répliques impertinentes et judicieuses : « Qu’importe que l’univers soit grand, si ma chaussure est trop étroite ? » Et ils deviennent un ménage. Un bon ménage ? Ils n’ont choisi, en vérité, ni l’un ni l’autre, leur conjoint ; de sorte qu’ils se contentent, l’un et l’autre, plus facilement que s’ils avaient une responsabilité en cette affaire. Le temps passe. Faute d’avoir un calendrier, les premiers