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choses se maintiendraient à leur niveau, pareilles à ces cylindres de fonte stupide. C’est la première et la plus cruelle image que je me formai de la dissolution de l’univers... » Un soir d’orage, la porte s’ouvre ; et un homme noir, enveloppé d’un manteau de roulier, entre. Il dit son nom, Maldious, et raconte qu’il montait chez les bergers, quand cet orage Fa surpris ; une fillette l’accompagne, qui est sa fille et qui s’appelle Mariette. On lui donne asile. Et voici que, le lendemain, Grimaud, bavardant avec Mariette, regarde ses yeux pareils à des fleurs violettes. Il l’aime et, quand elle est sur le point de partir ainsi que Maldious, il reçoit d’elle un baiser durant lequel il ne sait pas si le temps passe ou ne s’est pas immobilisé. Maldious et Mariette sont partis ; et il demande à la bonne femme qui n’a point d’horloge combien de temps s’est écoulé depuis ce départ : le temps de traire douze giclées. Il réplique : « Vous vous trompez ; il s’est écoulé des heures et toutes choses sont demeurées comme mortes. » Plus tard, il croit revoir Mariette : ce n’est pas elle. Une troisième fois, il croit la revoir : et ce n’est pas elle non plus. Différents êtres, que le temps sépare, se rapprochent, si le temps est aboli et deviennent alors identiques. L’amour abolit le temps et, à la durée, substitue l’éternité. Grimaud rêve ainsi : « Les femmes arrivent un soir d’orage ; toute l’huile des horloges se fige, le pendule oublie la pesanteur. Alors il n’y a plus qu’un cœur qui règle le mouvement des astres... » Voilà comment Grimaud Vanvole est devenu maître du temps ou bien, si l’on veut, comment le temps et la durée sont remplacés par l’oubli et le souvenir, sentiments humains au lieu d’une réalité illusoire.

M. Alexandre Arnoux, par de telles combinaisons d’idées, modifie à son gré l’aspect de toutes choses, et met en liberté sa fantaisie ; ou, du moins, il la rend maîtresse de la réalité, comme Grimaud Vanvole est maître du temps. Il aboutit à une poésie très singulière et attrayante. Il a une imagination la plus originale, qui lui fournit ensemble faits et idées. Ses romans seraient à merveille du genre dit romans d’aventures, si l’on avait accoutumé d’appeler aussi aventures les charmantes erreurs de l’esprit aux alentours de la vérité incertaine.

M. Jacques Chenevière a donné deux romans, où il joue avec le temps et l’espace. L’Ile déserte est son roman de l’espace ; Jouvence ou la Chimère, son roman du temps.

De hardis voyageurs se sont embarqués à bord du Pionnier, le premier « transocéanique de l’air. » A bord, il y a Hervé Marcoge, un Parisien désœuvré, que tente l’audace ; puis Ève-Marie Germier, petite