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que M. Paul Bourget recommande ; mais, à cause de sa philosophie, — une sorte d’agnosticisme tempéré de quelque badinage, — il est conduit à chercher la « crédibilité » où d’autres auraient grand peur de la perdre.

Du reste, on aurait tort de lui prêter un système philosophique ; on lui ferait du tort aussi. Car il est romancier ; les fictions qu’il arrange ne sont pas destinées à illustrer une doctrine : ce seraient plutôt ses hypothèses de philosophe qui serviraient à la mise en œuvre de ses fictions plaisantes. Il n’emprunte pas à M. Einstein et il n’emprunte pas, comme le dit M. Einstein, à Emmanuel Kant ou à David Hume, une théorie de la relativité ou de l’irréalité du temps. Il a observé que le temps « n’a pas la même étoffe pour tous, » remarque d’un psychologue et non d’un métaphysicien : d’un psychologue très avisé, s’il est vrai que les esprits se distinguent les uns des autres et indiquent leur caractère le plus évidemment par leur manière d’évaluer, de goûter ou de subir la longueur du temps ou la durée.

Or, voici l’un des héros d’Écoute s’il pleut, « Grimaud Vanvole, maître du temps. » Il est, ce Grimaud, fils, petit-fils, arrière petit-fils et arrière-neveu d’horlogers ; l’un de ses aïeux, gloire de sa généalogie, travaillait pour la Marine sous les ordres du fameux Berthoud. Grimaud Vanvole a passé son enfance parmi les balanciers, les spiraux et les échappements, parmi les heures et les minutes rigoureuses. D’autres gens mesurent l’année par le retour des vacances, la dinde de Noël, les crêpes du mardi-gras, mesurent les semaines et les jours par les événements, les incidents, la coutume. Pour Grimaud Vanvole, le temps était réel : « J’assistais à son déroulement, sa continuité me supportait, son oscillation ébranlait mon cœur ; familier, amical, il vivait héréditairement avec moi. » Mais, Grimaud Vanvole étant malingre, on le mit à la campagne chez une bonne femme. Et, dans la maison de cette paysanne, il n’y avait ni montre ni horloge.

La bonne femme se souvenait d’avoir vendu l’oignon de son défunt mari, pour donner à son fils qui partait un peu d’argent. El il y avait bien encore un vieux cartel à fleurs, mais qui ne marchait plus ; le balancier ne bougeait plus, les poids de fonte ne tiraient plus la chaîne des heures. Grimaud tâcha de nettoyer, de graisser le mécanisme et ne put vaincre l’ankylose des roues. « L’idée me vint d’un arrêt total possible, où aucune aiguille ne grignoterait le cadran, aucun cœur ne se contracterait, aucun soleil ne tournerait, aucune ombre ne décrirait sa courbe, où, la pesanteur cessant de peser, les