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admirable image ! Les enfants qui ont été nourris, éduqués, attristés par les soldats et fût-ce par les héros de la défaite, risquaient de n’avoir ni force ni entrain. Le narrateur est à la guerre pour son compte, à la grande guerre qui a réparé l’autre : « Il me semblait parfois, dit-il, que j’étais moi-même le fils du vieux roi et qu’il valait mieux m’asseoir sur le bord du fossé et attendre... » Alors, il s’écriait : « Au secours, mes frères ! Prêtez-moi vos bras et votre cœur. Il faut que je recharge sur mes épaules les cadavres de mon père, de mon oncle, de mes maîtres, de vos pères, de tous ceux qui ont enveloppé notre enfance d’une chanson de déroute ; je me sens si seul, si dispersé, si démembré, et ils sont si lourds !... » Un Boche avait dit à ce jeune Français, avant la guerre : « Mon père m’apprenait les chansons de la Garde sur le Rhin, de la grande Allemagne. J’ai été allaité, nourrisson vainqueur, par une race victorieuse. Vous, vous êtes un fils de vaincus et qui ont rabâché leur défaite sans même en antidoter le poison par les mensonges convenables. » Ce fut la force de l’ennemi ; et ce fut un sursaut de notre faiblesse qui l’a domptée. Mais le passé pesait d’un poids très lourd sur le présent : le présent rejeta, comme d’un coup d’épaule, ce fardeau d’un passé qui durait et survivait à ses dates.

L’auteur d’Indice 33 et l’inventeur de cette grande image conte, dans Abisag ou l’église transportée par la foi, une extraordinaire aventure où interviennent Salomon, David, maints personnages de l’ancienne loi et de la nouvelle, où intervient aussi un milliardaire d’outremer. « Je lui tendis ma blague et mon briquet...» Voilà plusieurs époques mêlées d’une façon tout à fait imprévue ? Bah ! le temps, dit Salomon, — le roi Salomon de ce récit, — « le temps n’a pas la même étoffe pour tous, et nous le regardons couler sous des angles si différents qu’il n’est pas étonnant que nous ne tombions pas d’accord à la fin. C’est en prenant le temps comme moyen que tu nous abuses, Seigneur ! s’est écrié un philosophe. Le Voyant des anciens jours ne l’a-t-il pas figuré par une roue à un moyeu, à seize jantes, triplement encerclée dans trois sens ? Images mystérieuses, en vérité, mais encore trop claires ! » Trop claires, parce que la réalité ne l’est pas du tout et que ses images, pour lui ressembler, doivent être obscures. Un autre conte de M. Alexandre Arnoux se termine ainsi : « Voilà mon histoire toute nue ; il y reste de l’obscurité et du mystère. Il en faut, certes ; car, si les choses s’expliquaient parfaitement, elles cesseraient d’être croyables. » C’est assez drôle et, d’une certaine façon, très juste. L’auteur ne renonce pas à la « crédibilité »