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éloignées, les Ardennes, par exemple, et jetés dans des granges où rien n’avait été préparé pour les recevoir.

Malgré la continuité d’un régime de terreur pour les biens et les personnes, de pareils actes de barbarie provoquèrent une nouvelle explosion de colère et d’indignation. De toutes parts, des voix s’élevèrent pour flétrir avec véhémence ces odieux attentats. Le maire de Lille, le préfet du Nord, les députés et sénateurs, se plaçant sur le terrain du droit ou de l’humanité, prirent courageusement la défense de la population terrorisée.

L’évêque de Lille, Monseigneur Charost, aujourd’hui Cardinal-Archevêque de Rennes, fit également entendre dans une lettre au Général-Gouverneur la protestation de la morale outragée.


Des enlèvements nombreux de femmes et de jeunes filles, des transferts d’hommes et de jeunes gens, d’enfants même, ont été effectués dans la région de Tourcoing et de Roubaix, sans procédure ni cause judiciaire. Ces malheureux ont été dirigés sur des localités inconnues. Des mesures aussi extrêmes, et sur une plus grande échelle, sont projetées pour Lille.

Vous ne serez point étonné, M. le Général, que j’intervienne auprès de vous, au nom de la mission religieuse qui m’a été confiée.

Elle m’impose la charge de défendre respectueusement, mais fermement, le droit naturel, que le droit de la guerre ne peut jamais enfreindre, et la moralité éternelle que rien ne peut suspendre. Elle me fait un devoir de protéger les faibles et les désarmés qui sont ma famille à moi, et dont les alarmes et les douleurs sont les miennes.

Vous êtes père, vous savez qu’il n’est point de droit plus respectable et plus sacré dans l’ordre humain que celui de la famille.

Pour tout chrétien, l’inviolabilité de Dieu qui l’a instituée est en elle. Les officiers allemands qui logent dans nos habitations savent combien l’esprit de famille tient à nos fibres les plus intimes dans la région du Nord, et fait chez nous la douceur de la vie.

Aussi, disloquer la famille en arrachant des adolescents, des jeunes filles à leurs foyers, ce n’est plus la guerre, c’est pour nous la torture, et la pire de toutes, la torture morale indéfinie.

L’infraction au droit familial se doublerait d’une infraction aux exigences les plus délicates de la moralité. Celle-ci est exposée à des dangers dont la seule idée révolte toute âme honnête, du fait de la promiscuité qui accompagne fatalement ces enlèvements en masse, mêlant les sexes, ou tout au moins des personnes de valeur morale très inégale. Des jeunes filles d’une vie irréprochable, n’ayant commis d’autres délits que celui d’aller chercher un peu de pain ou quelques pommes de terre pour nourrir une nombreuse famille, ayant au surplus