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notamment pour la main-d’œuvre, le règlement se faisait en bons communaux, c’est-à-dire avec des billets créés par la Ville, monnaie qui ne coûtait rien à l’Allemagne, étant donné qu’elle obtenait ces bons au moyen des contributions de guerre, sur la partie qui ne pouvait pas être payée en marks.

Concernant la prestation des objets, nous ne nous étendrons pas longuement, car il suffit de rappeler que tout ce que possédaient les habitants pouvait être saisi, ou même confisqué : matières premières de tout genre, métaux, textiles, cuirs, caoutchouc, huiles, machines, métiers ou agencements des usines, appareils électriques, automobiles, bicyclettes, chevaux, bétail, etc. Nous ne croyons pas exagérer en disant que la liste était sans limite, puisque les arrêtés de police ont été jusqu’à frapper de saisie les services de table, assiettes, couteaux, cuillers et fourchettes.

Ajoutons que toutes ces réquisitions entraînaient des frais de transport assez élevés. Qui devait les payer ? La Ville de Lille, à laquelle on laissait le soin de régler toutes les dépenses, principales et accessoires, faites par l’autorité allemande pour la dépouiller.

Parmi les prestations qui ont été exigées avec le plus d’acharnement, signalons celle des cuivres, dont la recherche se faisait maison par maison, et s’appliquait aux plus minces objets. Si les perquisitions faisaient découvrir la moindre parcelle de cuivre non déclaré, la peine encourue pouvait atteindre 10 000 marks d’amende, et cinq ans d’emprisonnement.

Ce n’était encore là qu’arbitraire et vexation, mais la réquisition devint une véritable cruauté lorsqu’elle s’exerça sur des objets de toute première nécessité, comme la laine des matelas. Une lettre du Maire, adressée au Gouverneur de Lille, en octobre 1917, rappelle ce lamentable incident.


Permettez-moi de vous exprimer la pénible surprise que m’a causée la lecture de l’ordonnance qui vient d’être affichée sur nos murs au sujet de la saisie de la laine à matelas.

C’est tout particulièrement le sort de la partie la plus pauvre de cette population qui me préoccupe au plus haut degré, car il ne s’agit pas tant en l’espèce de son bien-être que de son existence même. Les gens aisés arriveront peut-être, par des moyens de fortune, à suppléer à cette privation nouvelle. Mais que vont devenir, à l’entrée de l’hiver, ces milliers de logis ouvriers où manquent déjà la