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dépassaient les murs. Je voyais partout les épais plumets du bambou, que dépassaient çà et là les larges feuilles du bananier, pareilles à des morceaux d’étoffe déchiquetés. Au-dessous d’un petit pont de pierre, tigré de lichens, un ruisseau tombait en cascades dans sa grasse et étroite vallée bourrée de verdure. J’apercevais, dans un jardin, une plante guidée par des ficelles qu’elle ponctuait de grosses fleurs jaunes. Aux portes discrètes pendaient des lanternes rondes où se dessinait en rouge l’arabesque simplifiée des chauves-souris. Parfois, entre les arbres, des pavillons se laissaient voir, avec cette petitesse de proportions qui semble faite pour resserrer la vie et pour lui donner un agrément presque enfantin. Seul, au haut de la ville s’étendait un palais plus vaste, officiel. Un long portique le précédait, avec de hautes colonnes, reliées aux poutres transversales par des chevaux et des lions de bois peint, raides comme des barres et qui n’étaient pas sans faire penser à l’art scandinave. Je suis revenu par une longue rue déserte, où, sur les linteaux sculptés d’un arc de triomphe, des mandarins menaient encore leur cortège, interrompu çà et là par la chute de quelque pierre.


POÈTES CHINOIS

Tandis que je redescendais le fleuve, un mois plus tard, à travers ce Se-tchuen qui est la patrie des plus grands poètes, insuffisamment satisfait des mornes spectacles d’où je sortais, et désireux de saisir l’âme chinoise dans ses expressions plus hautes, je me suis retourné vers eux. La poésie, en Chine comme ailleurs, fut d’abord rituelle. Les strophes recueillies par Confucius, sur lesquelles un peuple de commentateurs a peiné, pour leur prêter un sens allégorique et politique, ne sont que des couplets échangés par les jeunes gens et les jeunes filles, lors des fêtes qui sacraient les moments principaux de l’année agricole. Il existait en Chine, il y a plus de deux mille ans, une poésie raffinée et savante. Mais l’époque la plus riche est celle des T’ang, du VIIe au Xe siècle, et celle des Song, après eux. Cette poésie est la sœur de la peinture. De même que celle-ci, au lieu de nous apporter l’image complète des choses, nous présente plutôt quelques objets, quelques signes, autour desquels nous évoquons l’univers, de même la poésie procède moins par des descriptions continues que par quelques touches heureuses,