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exemples de grammaire. Les beaux enfants de ces ménages jouent et font grand bruit, et les Chinois massés à la barrière des secondes, les regardent pendant des heures. Cette simple scène suffit à marquer le contraste des deux races, et peut-être aussi les limites ordinaires de l’une et de l’autre : ces petits blancs agissent déjà, mais ne font en somme que se démener ; ces Chinois inertes rêvent, mais leur contemplation se borne sans doute à ne penser à rien. ’

Vers le soir, nous approchons d’une petite ville étendue sur le rivage, à laquelle ses quelques maisons à l’européenne, avec leurs rangées d’arcades, donnent un air de port italien. Les portefaix s’agitent, le jeune commandant rose et blond fait un peu de toilette, prend sa canne et descend à terre. Il revient bientôt, et nous repartons. Des buffles, le long de la berge, un enfant juché sur leur dos, avancent de leur pas lourd et courageux. Le soleil décline, touche quelques arbres qu’il semble brusquement dévorer, puis il n’y a plus qu’un ciel vide et pur, dont la dernière pâleur coule sur le fleuve. C’est le seul instant où sa surface immense devienne rêveuse. A toutes les autres heures, il se répand à travers ces plaines sans les éclairer ; et l’on dirait qu’ici, comme les visages des hommes, les paysages n’ont pas de regard...


À BORD DU DOUDART DE LAGRÉE

Ce matin, les bords se relèvent, le fleuve plus étroit annonce l’approche d’I-Tchang. C’est le terme de la navigation ordinaire. Seuls vont plus haut quelques bateaux à vapeur, faits pour pouvoir franchir les rapides. Quant aux jonques, plus robustes et d’une construction particulière, qui, naguère encore, non sans naufrages et sans avaries, pratiquaient aussi cette navigation, le brigandage sévit tellement qu’elles ne se hasardent plus et restent pressées dans les ports. Pour moi, j’ai l’honneur d’embarquer sur la canonnière française le Doudart de Lagrée, qui va remonter à Tchon-King.

Le lendemain de mon arrivée, de bonne heure, nous quittons Tchang. La ville s’éveille sans joie et sans bruit. Au haut de l’escalier qui conduit au fleuve, s’avancent des porteurs de cercueils. Ils en amènent trois à la suite, et les descendent lentement jusqu’au bord de l’eau, tandis que la famille, empêtrée