Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devra avoir lieu tout de suite, et nous ferons le voyage jusqu’à Jitomir dans le camion qui part à trois heures.

Je ne m’attendais pas à un départ aussi précipité. Il était onze heures du matin : je devais me marier, faire une marche de quatre verstes à pied jusque chez moi pour emballer et emporter tout ce que je pouvais de mes effets, revenir à la Poushkinskaïa, et me mettre en route à trois heures pour Jitomir. Cela ressemblait à un roman : tout finissait par un mariage, — mon mariage avec un bolchéviste !

Mon fils courut informer ma tante, Mlle I., de notre départ, tandis que nous nous acheminions, Vladimir Ivanovitch et moi, à la Nikolaévskaïa, où se célèbrent les mariages bolchévistes. La cérémonie du mariage à l’église n’est pas légalement reconnue par les Soviets. Chemin faisant, Vladimir Ivanovitch m’indiqua comment je devais me comporter, ce que je devais dire en réponse aux questions qu’on m’adresserait. Je répétais docilement ma leçon, mais j’étais si agitée, que j’avais toutes les peines du monde à me rappeler mon nouveau nom de jeune fille, et celui de la raffinerie où j’étais supposée avoir travaillé, etc. J’avais certainement été plus calme le jour de mon vrai mariage.

Nous arrivâmes enfin à notre destination. Après être montés au cinquième étage d’une maison à la Nikolaévskaïa, nous fûmes introduits dans une pièce malpropre, où deux Juifs, homme et femme, étaient assis à deux tables séparées. Vladimir Ivanovitch s’approcha du premier, lui dit notre désir d’être « mariés légalement, » et lui montra nos papiers. Le Juif nota, griffonna une note et nous fit signe de nous adresser à sa collègue. Nous dûmes attendre, car il y avait plusieurs autres couples. L’arrivée de nos témoins (choisis par Vladimir Ivanovitch, et initiés par lui à notre secret) fut encore pour moi une cause d’émotion. A la vue de ces visages inconnus, je me sentis entre les mains de gens que je ne connaissais pas, dont je ne savais rien..., qui d’un seul mot, pouvaient me trahir. Mais le sort en était jeté.

Notre tour arriva enfin. Nous prîmes place à la table, en face de la Juive, qui me posa quelques questions : quel était mon domicile, si j’avais été mariée auparavant, etc. Toute cette procédure de « mariage » bolchéviste ne dura pas plus de cinq minutes, après quoi, on me donna le registre à signer.