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d’une autre vie, à m’échapper de cet enfer sur terre qu’était la Russie des Soviets.

Enfin, K. vint me voir, déclarant qu’il avait réussi à trouver un homme auquel on pouvait entièrement se fier, et qui se chargeait de nous faire passer la frontière. Il m’amènerait dès le lendemain mon bienfaiteur. Je ne pus dormir de joie et d’émotion. Ma détention, la faim et les maladies dont j’avais souffert dans le courant de ces deux années, n’étaient plus pour moi qu’un cauchemar qui s’évanouissait.

K... arriva le lendemain avec Vladimir Ivanovitch : c’était celui qui se chargeait de nous aider dans notre fuite. Je ne veux pas donner ici son nom de famille, car il est resté en Russie, et je risquerais d’attirer sur lui l’attention des bourreaux bolchévistes. N’ayant pas eu la possibilité de quitter la Russie lorsqu’éclata la Révolution, et ne possédant aucuns moyens d’existence, il se trouva obligé d’entrer au service des bolchévistes, et avait traversé depuis de nombreuses péripéties. Il y avait en lui de l’aventurier ; il avait servi dans l’armée rouge, bien qu’il fût acquis d’avance à toute entreprise contre les bolchévistes.

Le voyant pour la première fois, je ne pouvais m’empêcher de me demander s’il était prudent de me confier à lui. Comment pouvais-je savoir s’il était honnête homme ? Mais tout valait mieux que de rester en Russie sous le régime des Soviets. Ma première impression, d’ailleurs, était favorable.

— Il y a une condition à l’exécution de mon plan, me dit tout d’abord Vladimir Ivanovitch.

— Et laquelle ?

— C’est que vous consentiez à m’épouser.

— Mais que ferai-je de mon vrai mari ? lui demandai-je.

— Rassurez-vous ! Notre mariage sera fictif, et vous m’épouserez sous un faux nom. Je vous procurerai tous les papiers nécessaires. Un mariage d’après les lois des Soviets est indispensable afin d’obtenir un certificat prouvant que vous êtes réellement ma femme ; en cette qualité, je pourrai vous emmener sans empêchement à la frontière. Quant à votre fils, je ferai en sorte qu’il soit nommé employé au « Glavsakhar » (administration des raffineries de sucre réquisitionnées par les Soviets) ; il servira sous mes ordres, et je l’enverrai en mission à la frontière, d’où il pourra facilement s’échapper. Tel