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mal. Il y en avait une parmi elles, Fénia Kossino, fameuse pour ses vols à Moscou. Sa dextérité était merveilleuse ; ses yeux brillaient et tout son être s’animait au récit de ses exploits ; ils étaient le but et le sens de sa vie ! J’ai déjà mentionné plus haut Valentina Botina, que je ne pouvais pas m’empêcher de plaindre. Elle avait rencontré un riche avocat et était devenue sa maîtresse, à l’âge de quinze ans. Elle en avait maintenant plus de trente. Richement entretenue par son amant qui, en dépit de tout, lui restait fidèle, elle possédait maison, automobile et diamants. Petit à petit, elle se mit à respirer la cocaïne, tomba de plus en plus bas, se lia avec une bande de voleurs et finit par devenir voleuse elle-même. Quand on l’amena en prison, sale et déguenillée, on aurait dit une mendiante de la rue. Une autre de mes voisines était Fénia Goldina. Jolie, intelligente et même spirituelle, elle me suppliait de la prendre sous ma protection quand nous serions libérées et de lui trouver parmi mes relations un client sérieux. Valentina Botina et Fénia Goldina, étaient les deux seules figures qui se détachassent sur le fond uniforme des « femmes perdues » et sur cette grisaille de vice.

La distribution de la correspondance aux prisonnières était le grand événement de notre vie monotone. Un jour que je tirais de l’enveloppe une de ces rares lettres, je restai stupéfaite ! La lettre ne contenait que quelques mots, mais elle était signée :« Votre bonne. »

Ainsi, notre bonne était en vie ! J’en croyais à peine mes yeux, et je me sentais folle de joie ! Je n’avais pas douté de sa mort, et je priais tous les matins et tous les soirs pour le repos de son âme. La lettre était ainsi conçue : « J’ai été arrêtée, il y a huit mois, et je me trouve actuellement à la prison de « Boutyrky. » On me promet de me libérer dans quelques jours, et j’accourrai aussitôt auprès de vous. » En effet, elle vint me voir le dimanche suivant, jour où les prisonnières peuvent recevoir des visites. C’était l’anniversaire de mon arrestation. Après une année de solitude complète, sans une âme qui me fût proche ou chère à Moscou, entourée comme je l’avais été par de parfaits étrangers, ma joie et mon émotion de revoir le visage familier de notre vieille bonne étaient immenses.

Cependant, il me semblait que le terme de mon emprisonnement ne viendrait jamais ! Le court été du Nord était passé.