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mœurs, leurs relations contre nature me dégoûtaient et m’indignaient. Ce vice dans l’un et l’autre sexe, ainsi que la cocaïnomanie, avaient atteint des proportions épouvantables en Russie. Tout ignorant et inculte que fut le peuple russe aux temps passés, il y avait des vices dont il n’avait aucune idée ; mais, depuis la Révolution, la pire corruption avait pénétré dans les villages, et cela sous les formes les plus repoussantes.

Il a toujours existé des cas de relations anormales dans les prisons ; mais sous l’ancien régime, il était du devoir du Directeur, des surveillants, du médecin, de les punir ; les coupables étaient séparées du reste des prisonniers, ou des prisonnières, et envoyés dans une autre prison. Ici, on ne se cachait pas. Des femmes qui n’avaient eu auparavant aucune idée de ce vice, en étaient infectées. Il se trouvait parmi les détenues des petites filles de onze à douze ans ; la prison avait tôt fait de les dépraver.

Quant à la cocaïne, bien que notre malheureux pays soit dans un état de complète détresse, bien que tout le nécessaire manque, il est toujours possible de s’en procurer. On la vend secrètement, et personne ne sait d’où elle vient, mais elle est là. Tous les bolchévistes, — à peu d’exceptions près, — prisent la cocaïne. Jadis le peuple russe s’intoxiquait de boissons fortes. Il a tout simplement remplacé la « vodka » par la cocaïne. Les enfants mêmes en font usage. La cocaïne a pénétré jusque dans les prisons, où rien ne peut, cependant, être délivré sans passer par les gardiens. Elle est introduite en cachette dans du pain, dans des bouchons de bouteilles, etc.

Le grand avantage de ces journées passées à la bibliothèque, c’est qu’on y était à l’abri du bruit et du tintamarre de la prison. J’avais toujours imaginé, — avant de savoir ce qu’était la vie en prison, — qu’un silence de mort devait y régner, que tout le monde devait y être triste et abattu. C’était tout le contraire à la prison Novinsky ; une clameur incessante l’emplissait : on riait, on dansait du matin au soir, ce qui était fort naturel après tout, vu que ces filles se sentaient lâ chez elles ; c’était vraiment leur maison, d’où elles ne sortaient que pour y revenir sans cesse ; et toutes se connaissaient, grâce à leur profession, et à leur détention constante à la « Novinskaïa Tiurma. » Il y avait, entre autres, une certaine Arkhipova, — une voleuse bien connue à Moscou, — qui avait trente-cinq ans et se vantait d’avoir passé dix-sept Pâques en prison !