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De leurs mignards baysers la source est infinie,
Et sans fin leurs plaisirs je voy recommencer.

O bien heureux oyseaux qui d’ung mesme penser
Contentez voz espritz francs de la Tyrannie
Qu’apportent le Respect, l’Honneur, la Jalousie
Et mille aultres soucyz qui me font trespasser,

Vous voletez sans soing, joyeux, de branche en branche,
Eprouvans le bonheur d’une liberté franche
Et les suaves douceurs d’une égale amitié.

Ha, je puisse mourir si je ne vouldroys estre
Avec vous, chers oyseaux, tourterelle champestre,
Pourveu que, comme vous, j’eusse aussi ma moictié !


C’était là, plus qu’une défense, un aveu, un aveu qui valut bientôt à Desportes « tous les plaisirs d’un amant bienheureux » et à Mme de Villeroy une joie si profonde que même les beautés de la nature n’arrivaient plus à l’émouvoir :


Non, ce n’est point icy la bien heureuse allée
Qui passoit en plaisir le clair séjour des dieux,
Ou, si c’est elle-mesme, ô cruauté des cieux,
Pourquoy s’est sa beauté si soudain envolée ?

Ce vert gay, qui rendoit mon âme consolée
Par un espoir plaisant, ores m’est ennuyeux,
Et [ce qui lors estoit paradis de mes yeux
N’est plus rien maintenant qu’une obscure vallée.

Amour, ce changement /montre assez ta puissance :
Les fleurs en ce beau lieu sans fin prenoient naissance
Durant le temps heureux qu’il te plut d’y loger.

Mais depuis qu’en mon cœur tu choisis ta demeure,
La verdeur de ce bois soudain se vit changer
Et dans moy les pensers reverdir d’heure en heure.


Hélas ! Un rigoureux destin ne permit pas que ces « beaux jours » fussent de longue durée : avant la fin de l’année 1573 le poète quittait Paris pour Cracovie, à la suite du duc d’Anjou élu roi de Pologne.


Je vais comptant les jours et les heures passées,
Depuis que de mon bien je me suis séparé,