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ces rêves de palingénésie ; les gens d’expérience savent que l’homme reconstruit lentement et réenfante dans la douleur ce qu’une heure de démence lui a suffi à détruire : regardez la Russie.

Le Gouvernement français, que l’on accuse volontiers de faire de l’obstruction et de préparer l’échec de la Conférence, a fait au contraire tout ce qui dépend de lui pour en assurer le succès, pourvu que ce succès soit celui du bien commun et non pas l’avantage d’une seule Puissance. Il fallait d’abord délimiter un programme et définir le caractère de la Conférence : elle est économique et financière, non pas politique ; s’il est difficile en pratique de distinguer les deux domaines, il est encore plus dangereux de les confondre. Le mémorandum de M. Poincaré du 31 janvier, dont les conclusions ont été adoptées à l’entrevue de Boulogne par M. Lloyd George et, postérieurement, par le Gouvernement italien, fait avec précision la discrimination nécessaire. Ces précautions canalisent la Conférence vers son objet propre qui est la restauration de la production et des échanges en Europe ; d’avance se trouvent écartées les propositions qui n’auraient d’autre objet que de remettre en question les résultats de la guerre, les traités qui la terminent, le statut territorial qui en est issu.

Dans son discours du 3 avril, M. Lloyd George confirme, sur tous les points essentiels, les-résolutions de Cannes et de Boulogne. On ne pouvait attendre moins de sa loyauté. Il a le mérite, sur les points essentiels, de couper court aux interprétations malveillantes pour la France. En Europe et en Amérique, la France est souvent représentée comme une gêneuse, dont les exigences paralysent les affaires et empêchent la reprise du commerce. Avec beaucoup de force, le Premier britannique remet les choses au point. « Modifier le Traité de Versailles, ce ne serait pas faire disparaître les réparations... Ce serait enlever le fardeau à une population de 60 millions d’âmes, sur qui pèse la responsabilité des dévastations, pour le transférer à 40 millions de victimes de ces dévastations... Les dégâts existent-ils ? Doivent-ils être réparés ? Et qui doit les payer ? Si l’Allemagne ne paie pas, ce seront la France et la Belgique qui devront payer... » La ruine de la France, qui serait la conséquence du non-paiement des réparations par l’Allemagne, serait plus funeste et produirait plus de chômage en Angleterre que la détresse de la Russie. La dépréciation du mark, qui paralyse tout commerce avec l’Allemagne et qui est une des causes directes du chômage dont souffre l’Angleterre, a été précipitée par les industriels allemands pressés de