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aux petits cochons roses. Avec une poésie de Théophile Gautier, l’Hippopotame, Bourgault-Ducoudray crée un double chef-d’œuvre d’animalité puissante et de profonde humanité.

Saint-Saëns enfin, le Saint-Saëns du Déluge et de la Lyre et la Harpe, que traversait déjà le vol de l’aigle et de la colombe, Saint-Saëns a fait du Carnaval des Animaux le plus amusant album d’images musicales. Toutes sont d’après nature, d’après la nature de chacun des modèles, mais une ou deux fois d’après autre chose encore, qu’on nomme la poésie et qu’en dépit du sujet on serait tenté d’appeler ici l’idéal."« Tout chante en son ouvrage, et même les poissons, » ou du moins l’eau mélodieuse et claire de l’Aquarium, au sein de laquelle ils s’ébattent. » C’est déjà, disait le programme, c’est déjà presque du Ravel. » C’est peut-être plus et mieux. En fait d’harmonies et de sonorités, c’est plus ingénieux encore, plus nouveau même, et d’un style autrement pur. Les Tortues, l’Éléphant, sont comiques par le contraste : ici, la danse des sylphes, de Berlioz, transposée dans le registre le plus grave des contre-basses ; là, certain motif d’Offenbach (Orphée aux enfers) ralenti jusqu’à l’allure d’une marche solennelle et quasi religieuse. « On croirait du Gluck, » nous confia notre voisin. Et nous songions nous-méme : « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus long... » En musique aussi, un peu plus de lenteur, et la face du monde sonore est changée. Elle change ici lorsqu’au murmure d’une mélodie ravissante, bien connue celle-là, célèbre même, et qui porte son nom, le Cygne paraît et vogue sur les eaux. Alors, surpris et d’autant plus charmés, nous passons de l’ordre plaisant, de l’ordre aussi de la réalité, à l’ordre de l’imagination et du rêve. Est-ce-là le cygne de nos étangs, ou celui des contes bleus et des antiques légendes ? Peut-être l’un et l’autre ensemble. Ainsi la vérité et la poésie, la nature et la fable se mêlent, pour nous enchanter deux fois, en cette page d’une mystérieuse beauté. Au Châtelet encore, le très grand artiste qu’est M. Edouard Risler a joué Bach et Liszt non pas d’une manière, mais de deux, également admirables, et qui conviennent toutes deux : Bach, avec une raison souveraine ; Liszt, avec la plus riche et la plus fougueuse fantaisie.


CAMILLE BELLAIGUE.