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Grand musicien, le maître qui vient de disparaître l’était jusque dans les moindres choses, et les plus légères, témoin la spirituelle et presque inédite fantaisie qui s’appelle le Carnaval des animaux. Saint-Saëns n’en avait autorisé l’exécution de son vivant que dans l’intimité. Sa mort a levé des scrupules qui faisaient voir trop de délicatesse et le public des concerts doit à M. Pierné le plaisir, trop rare, de constater que la musique, fût-ce la meilleure, n’est pas nécessairement une des formes de l’ennui.

On pourrait écrire un volume sur ce sujet : les bêtes en musique. Il y serait traité non pas de certains auditeurs, amateurs, artistes, voire critiques, mais des animaux véritables. Et cela formerait pour les enfants, même pour les grandes personnes, une sorte de La Fontaine ou de Buffon musical. Nous avons appris d’un vieil helléniste, qui fut le maître de notre enfance, qu’un nommé Timosthéne, amiral de quelque Ptolémée, célébra, dans ce qui s’appelait un « nome pythique, » la victoire d’Apollon sur le serpent Python. Tout y était décrit, imité par les sons : les préparatifs, les péripéties du combat et jusqu’aux suprêmes convulsions et hurlements du Fafner pré-wagnérien. Pour l’antiquité, c’est déjà quelque chose. Au moyen-âge, il faudrait chercher, et l’on trouverait, ne fût-ce que la fameuse « Prose de l’âne. » L’un des maîtres de la Renaissance, Clément Jannequin, a composé non seulement le Chant des Oiseaux, mais un Rossignol, une Alouette et deux Chasses, l’une au cerf et l’autre au lièvre. En aucun temps les musiciens, et les plus grands, n’ont dédaigné la zoologie : ni le Haendel de l’Allegro e Pensieroso (air du Rossignol) et d’Israël en Egypte, ni le Rameau du Réveil des oiseaux et de la Poule, ni le Haydn des Saisons et de la Création. Sans parler de la symphonie Pastorale, Beethoven a fait chanter la caille en un de ses cantiques religieux. Plus on y songe et mieux on mesure la place occupée dans la musique du siècle dernier par le genre animal et ses représentants, de toute taille et de toute espèce, domestiques ou sauvages, hôtes de la basse-cour, de l’étable, ou de la ménagerie. Le ranz des vaches, cette « Marseillaise des bestiaux, » ou leur Chant du départ, circule, — quelqu’un l’a fait voir, — à travers toute la partition de Guillaume Tell. Schubert est un « animalier » d’esprit et de génie tour à tour. Le Roi des Aulnes, sans être cela seulement, est une sublime chevauchée, avant celle des Walkyries. La Course à l’abîme, de Berlioz, en est une autre et, dans la Damnation de Faust encore, le rat et la puce ont chacun leur chanson. Plus près de nous Chabrier consacre le meilleur de sa verve aux dindons, aux canards.