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nous emportait plus haut. Enfin, et ce n’en est pas la moindre originalité, cette musique parfois, à force d’être simple, se fait en quelque sorte oublier elle-même. Il semble qu’elle se retire et se renonce. Alors, entre les choses et nous, toute interprétation, tout intermédiaire disparaît et nous croyons nous trouver face à face avec la réalité.

Reste une dernière question, que nous n’avons point abordée : celle de la révision, — principalement orchestrale, — de l’œuvre de Moussorgsky, par son compagnon et fidèle ami Rimsky-Korsakov. Les mémoires de Rimsky [1] nous renseignent sur l’étendue et la nature de cette collaboration, non pas avant, mais après la lettre. Certains admirateurs de Boris la regrettent ; d’autres s’en félicitent. Pour se prononcer avec assurance, on voudrait connaître la partition originale, et la connaissance en est presque impossible. Le livre de Rimsky raconte aussi la vie et la mort de Moussorgsky. Le récit de l’une, et surtout de l’autre, est douloureux.

Boris Godounov a fait très bonne figure à l’Opéra. La représentation musicale et scénique est l’une des meilleures, la meilleure peut-être que depuis longtemps M. Rouché nous ait offerte. Les chœurs, « socle de l’ouvrage, » l’ont porté sans faiblesse. Ils ont chanté rudement, crûment, ainsi qu’il convient. Ils ont agi, ils ont vécu. L’orchestre a reçu comme eux, d’un chef excellent, M. Koussevitzky, l’impulsion et la vie. Un ou deux chanteurs, par moments, ont un peu trop chanté, je veux dire trop en dehors. Ont eût voulu plus intérieure, plus frêle aussi, la navrante complainte de l’Innocent ; plus retenue et recueillie, à l’acte de la cellule, la voix de Pimène (M. Huberty). Mais l’artiste a fort bien dit, d’un ton mystique et comme détaché de la terre, l’admirable récit du miracle. Cauteleux à souhait, le prince Chouisky (M. Fabert). Mme Germaine Lubin ne fait guère que passer dans l’unique scène dont l’opéra se passerait avec avantage. Enfin, s’il est impossible d’égaler Chaliapine dans le rôle de Boris, personne assurément n’en saurait approcher d’aussi près que M. Vanni Marcoux. Et c’est la plus haute louange que le chanteur et le tragédien puisse recevoir.

La saison des concerts touche à sa fin. Les derniers vont avoir lieu dans nos églises le dimanche de Pâques. Les premiers s’y étaient donnés le jour de Noël. Ainsi la musique religieuse ne peut se décider à rompre avec l’autre sa fâcheuse alliance. C’est pourquoi les chanteurs

  1. Ma vie musicale. Introduction et adaptation par E. Halpérine-Kaminsky ; 1 vol. Pierre Laffitte et Cie, éditeurs.