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Et voici que dans Boris le peuple, c’est-à-dire le chœur, forme, — quelqu’un l’a dit, — « le socle de l’ouvrage. » Foin des sujets historiques. Le drame musical ne saurait plus vivre que de la légende. En dehors d’elle, tout est contingent et passager. Seule elle offre à la musique l’élément nécessaire, éternel, « le purement humain. » Allez donc ouïr Boris, et vous acclamerez, comme fit naguère un des premiers auditeurs de l’opéra, « l’histoire, l’histoire vraie, la résurrection et la vie. » On reconnaîtra de même que la musique est capable de se passer du leitmotif systématique et continu, sans perdre pour cela rien de sa force ou de sa finesse expressive. Le rappel et non le travail des thèmes peut lui suffire. Le thème de Dimitri, par exemple, revient au cours de la partition, mais, à peu de chose près, inaltéré. Dans la cellule de Pimène, il hante les rêves du jeune Grégori, le novice d’aujourd’hui, l’aventurier de demain. D’avance il lui montre la route. Sur cette route, aux portes de Moscou, déjà triomphal, il retentit avec plus d’éclat. Ainsi deux fois il a servi l’usurpateur, il s’est fait le signe du mensonge. Mais dans la scène finale, quand va s’achever le récit du miracle accompli sur le tombeau de l’héritier légitime, le thème reparaît une dernière fois, non plus mensonger mais sincère, et la lumière accrue dont il brille est la splendeur de la vérité.

Entre deux éléments de la musique de théâtre, la mélodie et le récitatif, Moussorgsky, mieux que beaucoup d’autres, a su conclure une heureuse alliance. En des passages comme la scène de la cellule, comme le récit de Pimène, ces deux formes, ces deux forces de la musique s’unissent étroitement. Tout en demeurant deux personnes distinctes, elles n’ont plus qu’une seule nature, une seule substance, un seul être, dont chacune a sa part et qu’elles possèdent, toutes les deux, tout entier.

Les corrections de M. Louis Laloy n’ont pas médiocrement amélioré la traduction première de Boris (par M. Michel Delines). Mais faut-il l’avouer ? En sa langue jadis, à nous pourtant inintelligible, l’opéra de Moussorgsky nous parut peut-être encore plus beau. Les Russes affirment, et nous devons les en croire, qu’il n’est pas de musique plus adéquate, plus consubstantielle à la parole, à leur parole, que celle-là. Mais telle en est la puissance d’expression, de signification, qu’elle se suffit, et que, le sujet ou le sentiment une fois connu de l’auditeur, il arrive que les mots, plutôt que de servir les sons, les desservent. Ils en réduisent le sens et, pour ainsi dire, ils en brisent l’essor. La musique seule nous menait plus avant,