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d’ailleurs un savant éminent, n’a pas manqué d’honorer de sa présence toutes les séances du collège de France où parla Einstein. La logique aurait-elle déserté les rives de la Seine ?

Quant à l’Académie des Sciences, qu’on s’est étonné de ne pas voir inviter Einstein, la question se pose différemment. Cette haute assemblée n’a point dans ses usages d’entendre et de convier à s’asseoir à ses bancs des hommes de science, qui, comme Einstein, ne font pas partie de ses membres à titre de titulaire ou de correspondant. Einstein protocolairement n’avait point le droit de s’asseoir sur les bancs de l’Académie, et il eût été d’autre part ridicule de le faire asseoir sur les bancs du public. Je suppose que c’est la difficulté de résoudre cette question de protocole qui a décidé de ce qui s’est passé, ou plutôt de ce qui ne s’est pas passé, puisqu’on s’est rangé finalement au principe de Voltaire : Dans le doute si une action est bonne ou mauvaise, abstiens-toi.

Il faut d’ailleurs convenir qu’en lançant naguère leur déplorable et fameux manifeste, les 93 « intellectuels » allemands ont pris les premiers la responsabilité et l’initiative de mêler la science à la politique et de jeter dans le tourbillon des passions ce qui devait rester en dehors d’elles. Le manifeste des 93 n’a jamais été renié en corps par ses signataires ; quelques-uns seulement l’ont, depuis peu de temps, désavoué individuellement.

Cela met assurément dans une position délicate, et qui leur impose la prudence, les membres des bureaux de ces organismes en quelque sorte officiels que sont les Académiciens.

Si Einstein ne s’est pas rendu officiellement auprès de l’Académie des Sciences, en revanche on peut dire que celle-ci s’est rendue auprès de lui. J’ai en effet pu constater aux séances de discussions du Collège de France, — et cette constatation fut pour moi une joie, — la présence de la plupart des membres éminents de l’Académie, et j’ai connu des séances de celle-ci où il y avait moins d’académiciens présents qu’on n’en vit dans l’amphithéâtre du Collège de France, les jours où Einstein parla. Au premier rang de cette élite dont la déférence et l’admiration pour Einstein étaient infiniment touchants, on a vu le docteur Roux, les professeurs d’Arsonval, Daniel Berthelot, Borel, Brillouin, MM. Bigourdan, Deslandres, Mme Curie, le prince Bonaparte et M. J.-L. Breton, les professeurs Hadamard et Moureu, MM. Vieille, Termier, de Grammont, d’Ocagne, Lecornu, Maurice Leblanc, Janet, et vingt autres de leurs confrères dont le nom ne vient pas sous ma plume, et qui modestement s’étaient perdus dans