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était toujours rectiligne, et l’une des plus belles découvertes d’Einstein est d’avoir annoncé cette déviation inattendue et qui fut confirmée par l’observation. Nous lui demandons s’il compte prendre part à une des missions astronomiques qui doivent aller observer l’éclipse totale du 10 septembre prochain, afin de confirmer avec une précision accrue, si possible, cette vérification des précisions einsteiniennes.

« Non, nous répond-t-il, je n’irai pas, d’autant que je suis beaucoup moins expérimenté dans le maniement des appareils que d’autres observateurs. » Admirable modestie et qui contraste avec l’assurance avec laquelle, — précisément à propos de cette même éclipse, — certains fonctionnaires ont cru qu’ils pourraient du jour au lendemain s’improviser une aptitude à ces délicates observations.

— Pensez-vous, demandai-je à Einstein, que la confirmation de vos vues soit certaine, cette fois aussi ?

— Je vous répondrai ce que j’ai déjà dit à cet égard : le contraire m’étonnerait un peu.

Puis il nous parle des travaux récents d’un jeune mathématicien pour qui l’univers serait pentadimensionnel, mais avec une dimension privilégiée, ce qui en ferait un continu cylindrique ; nous parlons aussi des travaux de Weyl, qui a tenté l’application de la relalivité aux phénomènes électriques et dont il admire le génie sans adopter toutes ses conclusions.

De temps en temps, et après avoir avec animation décrit quelque expérience, Einstein se penche vers moi qui suis assis en face de lui (Langevin est à côté) et pensant que ses paroles ont pu m’échapper à cause du fracas du train, me demande avec une courtoisie charmante : « Vous avez entendu ? »

À propos encore de la théorie des quanta, Einstein nous dit : « Il y a de quoi devenir fou ; » et il ajoute en riant : « D’ailleurs, les physiciens ne sont-ils pas tous un peu fous ? Mais c’est comme pour les chevaux de course ; qu’importe, pourvu qu’ils marchent ! » On est conquis par cette gaité enjouée.

Durant ce voyage de quatre heures (trop tôt écoulées à mon gré), Einstein n’a exprimé qu’un désir : visiter nos régions dévastées. Nous nous arrangerons, Langevin et moi, pour le satisfaire.

Puis la conversation vient sur la difficulté d’exposer sans déformation, de faire comprendre, même à l’élite non mathématicienne, « rien qu’avec des mots, » comme dit Einstein, sa théorie, difficulté