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singulier entre le détachement complet des contingences populaires et mondaines dont témoignent ses découvertes et l’intérêt qu’elles suscitent. C’est que les œuvres véritablement grandes dégagent je ne sais quoi de pénétrant qui remue autant l’âme des simples que celle des initiés.

Mais voici le rapide. Nous y découvrons sans peine Einstein. Il est assis très tranquillement (dans un compartiment de seconde classe, naturellement), son grand feutre mou d’artiste posé à côté de lui. Effusion, accolades. Je sens mon cœur battre très fort quand je serre cette main d’où sont tombées, au sujet du mystérieux univers, les choses les plus aiguës qui aient été écrites depuis Newton. Mon émotion est intense lorsque mon regard croise ce regard qui a su pénétrer ce qui est opaque aux autres hommes.

La première impression qui se dégage d’Einstein est celle d’une étonnante jeunesse. Einstein est grand (il a environ 1 m. 76) et large d’épaules, le dos très légèrement voûté. La tête, cette tête d’où le monde de la science est sorti recréé, attire aussitôt et fixe l’attention. Le crâne est nettement, extraordinairement brachycéphale, tout en largeur, et fuyant vers la nuque sans dépasser la verticale de celle-ci. Voici une constatation qui met définitivement à néant les vieilles assurances des phrénologues et de certains biologistes selon lesquels le génie est l’apanage des individus dolichocéphales. Le crâne d’Einstein rappelle d’ailleurs tout à fait celui de Renan, qui lui aussi était brachycéphale. Comme chez Renan, le front est vaste ; sa largeur exceptionnelle, sa forme sphérique frappent plus encore que sa hauteur. Quelques plis horizontaux barrent ce front émouvant, que viennent parfois recouper, aux instants de concentration de pensée, deux sillons verticaux profonds et rapprochés qui s’élèvent des sourcils.

Le teint est uni, mat, brun très clair, lumineux. Une petite moustache noire très courte ombrage une bouche sensuelle, fort rouge, assez grande, dont les coins légèrement relevés font un sourire très doux et permanent. Le nez d’un dessin pur est légèrement aquilin.

Sous des sourcils légers dont les lignes inclinées semblent converger vers le milieu du front, apparaissent deux yeux très foncés dont l’expression mélancolique et grave contraste avec le sourire de cette bouche païenne. Le regard est généralement lointain et comme accommodé sur l’infini, légèrement embué parfois. Il donne à l’expression générale du visage quelque chose d’inspiré et de triste qu’accentuent