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L’initiative, qui n’était pas sans courage, en revient surtout à M. Langevin, professeur de physique au Collège de France. Depuis plusieurs années, M. Langevin a consacré son enseignement à la théorie de la relativité, et on peut dire que si une élite connaît bien aujourd’hui chez nous les merveilles étonnantes de cette théorie, c’est à lui qu’on le doit. Par ailleurs, il a contribué par ses propres travaux à l’édification de cette nouvelle figure du monde et en particulier ses recherches sur l’inertie de l’énergie, — sujet que j’ai effleuré ici naguère à propos de la mécanique einsteinienne, — sont de toute beauté.

Lorsque l’assemblée des professeurs du Collège de France se réunit, il y a quelques semaines, pour désigner le savant étranger qui serait cette année le titulaire de la fondation Michonis, M. Langevin proposa donc le nom d’Einstein à ses collègues. Aussitôt un grand nombre de ceux-ci se rallièrent à cette candidature, et notamment tous les physiciens et mathématiciens, c’est-à-dire précisément ceux qui étaient aptes à apprécier toute la valeur des théories d’Einstein. Il y eut bien, dit-on, un professeur qui déclara faux les calculs d’Einstein, mais on ne s’émut point trop de son opinion, car il enseigne, non les mathématiques ni la physique, mais une langue morte... ou mourante. Finalement, et dès le premier tour de scrutin, Einstein fut, contre plusieurs autres candidats, et par une majorité absolue de deux voix, désigné pour venir faire en 1922 au Collège de France les conférences Michonis. !

Avant de lui transmettre l’invitation, le Collège de France s’assura de l’assentiment gouvernemental. Einstein songea d’abord à refuser. Les persécutions qu’il a eu à subir de la part de certains de ses collègues pangermanistes ne sont pas encore oubliées, et il craignait probablement de leur fournir de nouveaux prétextes. Finalement, après avoir un peu hésité, il se décida pourtant à accepter l’invitation du Collège de France, passant outre, suivant sa propre expression, à « des considérations secondaires » et estimant qu’après tout les professeurs du Collège de France ne se sont pas, eux non plus, laissé arrêter par des considérations de ce genre.

L’expérience, — source unique de toute vérité. — a prouvé d’une manière éclatante que, cette fois encore, Einstein ne s’est pas trompé.

Il y avait pourtant, je dois le reconnaître, un réel courage de sa part, comme de celle du Collège de France, à organiser cette visite. La guerre n’est pas si loin encore. Einstein travaille habituellement à Berlin.