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chrétiens d’Orient. C’est alors que, pour notre malheur, intervient l’Allemagne.

« Sans hésiter, l’Allemagne se range du côté de nos persécuteurs et recommande, comme la meilleure solution du problème arménien, l’extermination systématique des populations chrétiennes d’Asie-Mineure par la déportation et par le massacre. Le massacre, vous savez ce que c’est... Pour comprendre ce que signifie la déportation dans une contrée où il n’y a pas de route, où il n’existe ni stocks de denrées ni ravitaillement régulier, chaque habitant faisant au cours de l’été ses provisions pour le prochain hiver, il faut, je crois, se reporter aux Récits mérovingiens de votre Augustin Thierry : en Turquie d’Asie, la déportation, c’est la mort.

« Les succès de la politique allemande en Orient auraient peut-être fini par rapprocher, sur ce terrain, l’Angleterre et la Russie. La puissance de l’Allemagne atteint son apogée, le jour où elle réussit à lancer la Turquie dans la guerre mondiale, avec la double mission de battre la Russie dans la Mer Noire et au Caucase, et de faire échec à l’hégémonie orientale de l’Angleterre en menaçant l’Egypte et peut-être les Indes. Mais l’Empire russe s’écroule, et tout change de face encore une fois. En toute hâte, l’Angleterre s’installe au Caucase et en Arménie. Malheureusement, les Anglais, qui savent admirablement profiter d’une occasion, ne se soucient point de la prévoir : leurs entreprises sont toujours de longues et coûteuses improvisations. Lorsqu’ils s’établissent dans un pays, ils commencent par y commettre faute sur faute. Peu à peu, l’expérience les fait réfléchir, et ils s’amendent ; mais le résultat des erreurs premières n’est pas aboli. Entre les Anglais et les Arméniens, des malentendus surgirent, que rien ne put dissiper.

« Survint l’armistice et, bientôt après, le mouvement anatolien. Au même moment, les Bolchévistes russes envahissent le Caucase et l’Arménie. Nous avons eu alors l’impression très nette que les Anglais allaient s’entendre avec Moustapha Kemal sur notre dos. Ce qui nous a sauvés de cette catastrophe, c’est uniquement la maladresse du dictateur turc, et l’intransigeance d’une partie de son entourage. Lorsqu’ils virent que l’entente avec les nationalistes était impossible, les Anglais se reprirent à nous protéger ; et ils suscitèrent les Grecs. En Occident, on estime que les Grecs ont échoué lamentablement ;