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ils formaient comme un large couloir de communication entre les vilayets orientaux et la Cilicie.

Cette conception du home arménien avait, parmi les catholiques, des partisans d’autant plus nombreux, que la population arménienne de Cilicie était en grande majorité catholique. Je la retrouvai chez un laïque fort intelligent, qui me fit un jour le tableau des avantages économiques, politiques et militaires que la France retirerait d’une telle création. Le tableau était séduisant. J’objectai pourtant à l’Arménien que notre pays avait reçu le mandat pour la Syrie et ne pouvait guère en postuler un autre. Il s’écria : « Pourquoi la France accepte-t-elle le mandat sur les Syriens, qui ne veulent pas d’elle, et refuse-t-elle le mandat sur les Arméniens, qui l’appellent à grands cris et n’attendent que d’elle leur salut ? » Je ne rapporte cette boutade que pour caractériser un état d’esprit, où il entrait plus d’exaspération que de conviction réfléchie. Los événements survenus depuis lors ont d’ailleurs rendu superflue toute discussion au sujet du « home arménien » de Cilicie.

Dans les milieux grégoriens, on ne se désintéressait point de la région qui comprend Césarée, Tarsous, Mersine et Adana, mais on se préoccupait encore davantage du sort réservé aux vilayets orientaux. Voici en quels termes un Arménien grégorien, très clairvoyant et très informé, m’exposa l’opinion de ses compatriotes touchant ces deux problèmes :

« Vous avez vu, — me dit-il, — comment les Arméniens du Sud, — ceux de la Cilicie et de la Petite Arménie, — ont accueilli les Français, et avec quel enthousiasme ils se sont rangés sous leur autorité. La constitution d’une légion arménienne, commandée par des officiers français, leur parut répondre à leurs propres aspirations nationales et à celles d’une grande politique française en Orient. Mais les Anglais prirent peur et commencèrent à intriguer : bientôt se produisirent des soulèvements, des conflits avec la population. La France consentit à retirer les officiers de la légion étrangère, que les Arméniens adoraient, et à les remplacer par d’autres. Les nouveaux venus firent en Cilicie une politique musulmane. Nos compatriotes se crurent trahis et se retournèrent du côté des Anglais. Cette volte-face leur a réussi médiocrement : aujourd’hui ils sont indécis, inquiets, et comprennent seulement ceci : que leur nation est victime de la rivalité franco-anglaise en Orient.