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d’une civilisation supérieure, égale ou inférieure à la leur. En Hollande, en Angleterre, en France, les Juifs devaient tendre à s’assimiler au milieu dans lequel ils vivaient ; en Pologne, en Russie, dans les Balkans, ils furent au contraire, tantôt amenés, tantôt contraints à s’isoler de ce milieu, et par conséquent à s’organiser, soit pour s’assurer une existence meilleure, soit en vue de résister aux mesures d’ostracisme ou aux actes de persécution. Lorsque nous sommes venus en Turquie, nous y avons trouvé, comme élément dominant, un peuple moins civilisé que nous, fier de ses succès militaires, jaloux de son hégémonie politique, mais par ailleurs affable, juste et tolérant. La vie nous fut, dans ce pays, relativement facile : nous eûmes des privilèges, des garanties suffisamment larges pour assurer le maintien de nos traditions religieuses et ethniques ; garanties et privilèges furent généralement respectés. Jamais nous n’avons eu à nous plaindre des Turcs, comme ont eu à s’en plaindre les Arméniens. Quand nous avons souffert, nous avons souffert avec les Turcs, ni plus ni moins qu’eux-mêmes. Cela vous explique pourquoi, aujourd’hui, beaucoup d’entre nous refusent d’adhérer au mouvement qui se dessine en faveur de la séparation.

« Mais les Juifs de Turquie proviennent de deux origines et appartiennent, pourrait-on dire, à deux civilisations différentes. Les Séphardim, qui sont venus du Portugal, de l’Espagne et du midi de la France, se rattachent à l’Occident, à la civilisation latine ; ils parlent pour la plupart le jargon espagnol. Les Askénazim sont originaires de l’Europe centrale ou orientale ; ils parlent le jargon allemand et c’est vers la culture germanique qu’ils se sentent attirés.

« Pour ne parler que de Constantinople, la communauté juive de la capitale comptait, avant la guerre, 80 000 individus, dont 8 000 Askénazim. L’émigration survenue depuis l’armistice a porté la population juive de la capitale à 100 000, mais n’a pas modifié sensiblement la proportion entre les deux éléments qui la composent : les Askénazim ne représentent pas plus de 10 pour 100 du total. Cette minorité fut naturellement très favorisée par les autorités allemandes, tant que dura l’occupation. Maintenant encore, elle reçoit de Berlin des appuis officiels et des subsides importants. D’autre part, elle est active, remuante, réclamière et pourrait donner au dehors l’impression, d’être plus importante et plus puissante qu’elle ne l’est en réalité. Enfin,