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grand principe à l’abri duquel les éléments non-turcs se sont ménagé une autonomie de fait. La forme du gouvernement turc est essentiellement une théocratie, ayant à sa tête un souverain, qui en est à la fois le chef temporel et le chef religieux. Dans une telle organisation, non seulement l’Eglise et l’Etat ne sont point séparés, mais ils sont unis au point de se confondre. Les Turcs reconnurent volontiers chez les peuples qu’ils avaient vaincus une constitution analogue à celle qu’ils s’étaient eux-mêmes donnée. Ils n’auraient point toléré que les Grecs, devenus sujets de l’Empire, eussent un chef laïque, mais ils trouvèrent tout naturel qu’ils obéissent, en tant que chrétiens, à un chef religieux. Il n’est pas inutile d’observer, en passant, que le principe de la liberté des cultes était déjà reconnu et généralement appliqué par les Turcs au XVe siècle, c’est-à-dire à une époque où l’Europe occidentale, en proie aux guerres et aux persécutions religieuses, ne le soupçonnait pas encore ; il est vrai qu’aux siècles suivants, et jusqu’à ces derniers jours, l’Europe, devenue tolérante, a souvent frémi d’indignation et d’horreur devant les terribles excès du fanatisme musulman en Turquie. Les Grecs comprirent immédiatement le parti qu’ils pouvaient tirer des dispositions où ils trouvaient leurs vainqueurs. Ils se rallièrent autour de leur Patriarcat. Cette institution qui, déjà sous l’Empire byzantin, exerçait un certain pouvoir temporel, ne manqua point de le retenir. Le Gouvernement turc laissa au Patriarcat le soin de dresser l’état civil de ses sujets grecs, de régler les actes de leur vie qui présentaient un caractère à la fois civil et religieux : mariage, divorce, succession, tutelle, et de trancher, selon sa loi particulière, ainsi que le faisaient pour les Turcs les tribunaux du Cheik-ul-Islamat, tous les différends auxquels ces actes pouvaient donner lieu.

Ainsi naquirent les privilèges du Patriarcat grec, ou, en d’autres mots, les garanties de la nation grecque en territoire ottoman. Assisté de deux conseils élus par le peuple, l’un ecclésiastique, l’autre laïque, le Patriarche avait sous son autorité exclusive, outre les organisations religieuses, les tribunaux, les écoles, les hôpitaux. De plus, étant reconnu et officiellement nommé par un firman impérial, il avait le droit d’intervenir auprès des pouvoirs politiques turcs, chaque fois que l’exigeaient les intérêts de la nation dont il était le chef. De même