Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soudainement, certaines de ces âmes qui tenaient tant à se sentir « catholiques » avaient l’impression d’être lointaines, d’être séparées. Elles avaient, au seizième siècle, été des protestataires sans vouloir pour cela devenir des protestantes ; et tout d’un coup, dans l’atmosphère catholique du continent, il leur advenait de se demander si elles étaient autre chose que protestantes, — protestantes sans le vouloir. Et cette question intérieure leur faisait mal. M. Ronald Hilary Knox, fils de l’évêque de Manchester, avait en 1913 dit à Plymouth, dans un sermon :


Nous ne pouvons pas poser nos pieds sur le rocher de Pierre, mais regarder seulement l’ombre de Pierre qui passe près de nous, dans l’espoir qu’elle tombera sur nous et nous guérira. Nous supporterons qu’on nous fasse un reproche de notre nom de catholiques, sans jouir de tous les privilèges de l’héritage catholique. Puisse l’intercession de Marie rétablir l’unité dans la chrétienté divisée !


De 1914 à 1918, les spectateurs anglicans du catholicisme français, dans le moindre de nos villages, regardaient à leur tour l’« ombre de Pierre qui passait. » Ils apprenaient, en 1917, que ce fils d’évêque rejoignait dans l’Église romaine un fils d’archevêque, R. H. Benson, et que bientôt, dans son Enéide spirituelle, il allait donner les raisons de son exode. Et puis en 1920, c’était, au delà de l’Océan, l’évêque épiscopalien Frederick Kinsman, qui, se dépouillant de sa mitre, devenait, aux pieds du cardinal Gibbons, un simple fidèle de Rome. Longtemps il avait dit : « L’anglicanisme peut-être est difficile, mais Rome impossible ; » il professait désormais : « C’est l’anglicanisme qui semble impossible, et Rome, quoique difficile, paraît inévitable. » Rome, quoique difficile ! Remarquons ces mots, dernière plainte, dernier bruit de déchirure, au moment même où, se détachant de son passé, il se soumettait à elle. Beaucoup d’âmes anglicanes, moins rapides en leur évolution, sont mal à l’aise dans l’anglicanisme sans consentir encore à conclure que Rome est inévitable, et ce qu’il y a de décisif dans ces formules de convertis les mettrait plutôt en recul.

La Révolution française, première grande crise de notre Europe contemporaine, avait, en jetant sur les côtes anglaises nos prêtres français, révélé à l’Angleterre que le romanisme pouvait être une école de grandeur d’âme et d’héroïques vertus. Des visions de la France religieuse, au cours de cette seconde