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et peut-être secouru, — par la police. Bien d’autres protestations suivirent ; il y en eut d’acerbes, il y en eut de piteuses ; Fauche-Borel, ou plutôt Beauchamp, répondit à tous. Barras, qui touchait à sa fin, reçut, « de la part de l’impudent Fauche lui-même, « les deux premiers volumes des Mémoires et rassembla ses dernières forces pour s’élever encore une fois contre les calomnies de « l’éternel fourbe » qui le poursuivait depuis tant d’années. Les grands seigneurs mis en cause, tels que Blacas ou la Maisonfort, dédaignèrent, eux, d’entrer en discussion avec Fauche ; Veyrat, fixé à Paris où il devait mourir, rue de Saintonge, dix ans plus tard, Veyrat garda également le silence ; les Mémoires de Fauche-Borel, en somme, le premier effet de scandale passé, eurent peu de succès ; il y a quelques années, on en rencontrait fréquemment, dans les boites des bouquinistes, des exemplaires non coupés et portant, au feuillet de garde du premier volume, cette mention tracée de la grosse écriture molle de Fauche : de la part de l’auteur ; il dut en offrir plus qu’il n’en vendit : l’ouvrage est prodigieusement lourd et abonde en dissertations fastidieuses. Présente-t-il quelque garantie de véridicité ? Oui, plus qu’on ne le croit et il ne mérite pas le mépris où il est tenu. C’est évidemment l’œuvre d’un fanfaron, infatué de son rôle et l’on y retrouve, presque à chaque page, des traits de cette jactance dont l’auteur était gonflé ; mais, si les faits y sont déformés à l’avantage du narrateur, — péché mignon des mémorialistes les plus considérés, — ils n’y sont pas, sauf exception, controuvés.

Le prix des quatre volumes était de 28 francs : sans doute Fauche s’attendait-il à ce que l’édition entière s’enlevât en quelques jours et fondait-il sur son œuvre de nouvelles espérances de fortune. Sa désillusion fut cruelle ; mais ce fut la dernière. De tout l’argent qui lui était passé par les mains il ne lui restait rien, que des dettes. Ses créanciers, le voyant sans protecteurs et abandonné de tous, se montraient exigeants ; sa femme était morte en 1824 ; tous ses enfants, sauf sa fille qu’il avait mariée en Angleterre, étaient également disparus. Afin de tirer parti de sa maison neuve du faubourg de Vieil-Châtel, il la transforma en auberge, — l’Hôtel Fauche ; — peut-être espérait-il que son renom assurerait la vogue de l’établissement : pas un voyageur de marque, pas un personnage de distinction, visitant la Suisse, ne manquerait de descendre chez