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dire que le libraire neuchâtelois avait quelque peu perdu déjà de son prestige dans l’estime du clan Nodier-Tercy : cependant le contrat d’association tenait toujours et Nodier eut à cette époque mainte occasion de rencontrer la dupe de Perlet : c’est ainsi qu’il put tracer du personnage, dans ses Souvenirs de la Révolution, une silhouette si piquante et, probablement, si ressemblante.

Mais cette camaraderie ne pouvait pas durer ; le fameux Fauche devait être un collaborateur insupportable : tant d’illusions s’étaient chez lui transformées en rancunes, tant de déceptions avaient, dans son esprit aigri, tourné en griefs, qu’il eût voulu ne rien garder sur le cœur et prendre à partie toute la terre. Il entendait ne laisser personne impuni et dire leur fait aux grands comme aux humbles ; or Tercy était un parfait homme du monde, fort apprécié dans la société parisienne ; il lui répugnait d’épouser les querelles de Fauche et peut-être s’aperçut-il que celui-ci projetait de publier, non des Mémoires, mais un pamphlet, qui fût en même temps une apologie personnelle ; sans doute aussi s’avisa-t-il que les documents qu’il devait mettre en œuvre étaient quelque peu frelatés, car Fauche désirait produire seulement des pièces tout à son honneur et ne se gênait point probablement pour « arranger » à son goût celles dont les termes ne lui paraissaient pas suffisamment avantageux. Bref, Tercy se dégoûta de cette besogne ingrate et le traité de collaboration fut rompu.

Fauche s’adressa à Beauchamp, écrivain en vogue et bien préparé à ce travail par ses publications antérieures. Alphonse de Beauchamp, naguère employé au ministère de la Police, en avait été congédié pour indiscrétion : on l’accusait d’avoir puisé dans les dossiers laissés à sa disposition, une partie de la documentation de son ouvrage sur la Vendée : il connaissait bien le personnel de ces époques troublées et son tact dut épargner à Fauche nombre d’avanies. Néanmoins, les deux premiers volumes de l’ouvrage furent mis en vente, dans la seconde quinzaine de décembre 1828 : le troisième volume et le quatrième parurent à quelques semaines d’intervalle et, comme on le pense bien, le livre souleva des tempêtes. Celui qui réclama d’abord fut Montgaillard, lequel, pour mieux servir la Restauration, peut-être, affichait des opinions libérales ; il vivait misérablement rue Montmartre, vaguement surveillé, —