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devait s’asseoir là, un soir, aux côtés d’un jeune écrivain dramatique, à l’aurore de sa renommée, Alexandre Dumas : rencontre que le grand conteur consigna plus tard en ses entraînants Mémoires. Louis XVIII étant mort, usé par la goutte. Fauche entreprit en 1825 le voyage de Reims pour assister au sacre de Charles X ; il assure y avoir été convié par le Roi lui-même : il est plus probable que, dans sa vanité, grandissante à mesure que ses horizons se rétrécissaient, il voulut se faire voir en cette réunion « de toutes les grandes notabilités, des insignes de l’Europe entière. » Sa folie progressait : il se donnait alors le titre de chevalier, et signait Louis de Fauche-Borel. Le changement de règne lui parut favorable à de nouvelles récriminations : il reçut encore des promesses, de bonnes paroles, reprit espoir : il n’abandonnait pas son rêve du million, du superbe emploi et de la décoration que lui avait, trente ans auparavant, promis le Prince de Condé, s’il réussissait à gagner Pichegru aux Bourbons. Or, le malheureux estimait « avoir réussi ! » Et c’est pour l’établir et le prouver que, rentré à Neuchâtel, il entreprit l’œuvre immense de relater l’histoire de sa vie et de ses missions diplomatiques.


Non loin de lui végétait l’homme dont le nom restera toujours associé à celui de Fauche-Borel, — Perlet. — Après sa condamnation, pour éviter la prison, Perlet avait passé la frontière et s’était fixé à Genève, sa ville natale. Sans argent, il trouva asile chez sa sœur, brocheuse, place de la Magdeleine : lui-même dut prendre le cousoir et apprit à brocher ; — « sans quoi, l’hôpital, » écrivait-il. L’amertume minait ce déchu qui avait connu, avant Fructidor, des jours de succès et d’aisance ; d’abord il garda un silence prudent ; peu à peu, l’humiliation de son métier manuel, la médiocrité de son salaire, son isolement, sa vie misérable, lui mirent au cœur une sorte de rage. Comme Fauche-Borel, son adversaire dans un duel de dix années, il rêvait aux millions qui lui avaient échappé ; tout en maniant le plioir ou en battant les feuilles, il déplorait que son ténébreux génie fût à court d’un moyen de refaire sa fortune. N’avait-il pas été, déjà, au retour de sa déportation, aux prises avec le dénuement ? Il s’était bien tiré d’affaire et procuré des sommes appréciables en mystifiant un sot ; n’aurait-il donc plus la chance de rencontrer un nouveau pigeon à