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grande guerre ; leurs fils sont morts le fusil en main, leur champ est ravagé, leur maison est en ruine : quand ils ont appris le retour du Roi, ils ont pensé : c’est la revanche ! Personne ne songe à eux : les veuves des paysans tués pour le drapeau blanc obtiennent 30 francs d’allocations annuelles ; les cinq enfants du grand Cathelineau n’ont pas assez de pain pour vivre dans la chaumière d’où leur père sortit, appelant la Vendée aux armes ; la veuve de Lescure, la veuve de La Rochejaquelein sont, — en 1816 ! — sous la surveillance de la police... Par compensation, la sœur de Robespierre reçoit 2 000 francs de pension !... Ceux qu’on pouvait récompenser par un portefeuille, une grande distinction, un titre de duc, étaient facilement satisfaits : c’est ce qui advint à Blacas, à la Maisonfort, à la Châtre, à Dandré, à l’abbé de Montesquiou, pour se borner aux noms épisodiquement cités au cours de cette histoire ; Carlos Sourdat était colonel, attaché à l’état-major du gouverneur de Paris ; mais les petits, que faire pour eux ? Le budget de la France n’aurait pas suffi à attribuer une pension, même modique, à tous ceux qui estimaient posséder un droit à la reconnaissance du Roi restauré. L’abbé Ratel, mal reçu à Paris, s’en retourne vivre en Angleterre où il a ses habitudes ; Leclerc, l’œil vairon, l’homme de la Correspondance anglaise, revient en France, obtient un petit secours annuel, dont il vivra jusqu’en 1839 ; celui-là se contentait de peu ; le brave Ange Pitou, qui, au temps de l’agence Brotier, a donné tout son argent, s’est endetté pour le service du Roi, et a été déporté à Cayenne, présente maintenant ses comptes : le Trésor royal reconnaît qu’il est dû au chansonnier 545 750 francs ; mais on le lanternera d’année en année et il trépassera, en 1846, sans avoir touché un écu. Ce créancier des Bourbons, à soixante-douze ans, fut rencontré mendiant par les rues et l’Etat hérita définitivement du demi-million que ce pauvre hère avait avancé en Fructidor.

Fauche-Borel, peu disposé à tant de résignation, était, d’ailleurs, perdu de dettes, ayant laissé à Berlin, à Hambourg, en Suisse, en Angleterre des créanciers qui montraient les crocs. Pourtant, il paradait encore, ne voulant pas abdiquer : on le voyait aux diners de Barras, — autre épave dédaignée des temps de trouble, — qui, lui aussi, fanfaronnait sous le mépris unanime, et posait au « dernier des républicains, » en tenant table ouverte dans son fastueux intérieur de Chaillot. Fauche