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soit 14 108 francs, augmentés des intérêts à compter du jour de la demande, à 300 francs de dommages-intérêts et aux dépens du procès ; il lui était en outre fait défense de vendre et distribuer son Exposé, déclaré faux, calomnieux et attentatoire à l’honneur de son adversaire ; le Tribunal ordonnait enfin que « le présent jugement serait imprimé au nombre de cinq cents exemplaires et affiché, le tout aux frais dudit Perlet. »

Fauche-Borel triomphait donc du calomniateur, mais non de la calomnie. Louis XVIII, qui avait supporté noblement la pauvreté, l’abandon, l’oubli humiliant même, ne voulait pas être ridicule, et la publication de son audience accordée à un mouchard l’assimilait à un roi de vaudeville : il ne devait jamais pardonner cela. Quand, en politique, un homme est parvenu à un but longtemps poursuivi, il n’aime pas à se remémorer les ornières et la boue des chemins qu’il a dû suivre pour l’atteindre : les lui rappeler, et bruyamment, est le plus sûr moyen de lui déplaire.

Mais Fauche ne l’entendait pas ainsi : en le lançant, à son corps défendant, dans ce qu’il s’obstinait à appeler « la diplomatie, » une « bouche auguste, » — celle du Prince de Condé, — lui avait promis, en cas de Restauration, un million comptant, une place éminente et le cordon de Saint-Michel ; or, la Restauration était un fait accompli ; il voulait son cordon, sa place et son million. Il consent à transiger cependant et à compter pour rien les « trente années » de sa vie consacrée à la cause des Bourbons, les « mille dangers » auxquels il s’est exposé, « ses sacrifices de tous les genres, » son « dévouement de tous les instants ; » mais, au moins, qu’on le rétablisse dans la situation où on l’a pris ; et il dresse le bilan de cette situation ; elle était superbe : — « Je jouissais d’une grande aisance ; j’étais à la tête de deux établissements considérables ; je commandais à un capital de près de 500 000 francs, et je ne devais rien... » Il le clame, il le croit, car sa mégalomanie s’accentue en proportion de sa disgrâce ; et le malheureux se condamne à cette vie surmenante du quémandeur qui assiège les bureaux, sollicite des protecteurs, se procure des attestations, fait antichambre, est évincé, gémit, importune, pétitionne sans rémission ni vergogne. Partout il trouve sourdes oreilles. Rien ne vient ; des mois, des années passent : et il n’est pas le seul qui attende : il y a, là-bas, dans l’Ouest, de vieux chouans mutilés dans la