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démasque et la scène est dramatique ; si émouvante aussi que le coriace Veyrat en paraît lui-même remué : il en a vu, pourtant, et sans faiblir, des accusés trébucher au piège de ses questionnaires ; à combien de cris d’angoisse, de pleurs de femmes, de supplications, de désespoirs, est-il, au cours de ses rudes exploits, demeuré insensible ? Mais ici, il semble que sa dureté l’abandonne ; c’est avec un gémissement de regret, presque de contrition, qu’il exécute sa dernière victime : — « Je suis fâché, dit-il, d’être obligé d’accuser Perlet ainsi : en me forçant à dire la vérité, on m’arrache le cœur de chagrin. » Mais, impitoyable, il poursuit et révèle maintenant les secrets de la Correspondance échangée entre Perlet et Fauche-Borel : — « Les trois quarts des lettres reçues par Perlet étaient remises par lui, fermées, » à ses chefs. « Quant aux réponses, elles étaient combinées avec le Gouvernement. » Berryer questionne le témoin qui semble en disposition de ne rien cacher : — « Avez-vous connaissance d’ordres donnés par Bonaparte à Perlet pour le voyage de Londres ? — J’en ai une parfaite connaissance : il fut envoyé par le ministre qui lui donna pour cela 5 à 6 000 francs. Il n’en était pas content, à raison des risques qu’il courait. A son retour à Paris, il se séquestra : il ne voulut voir personne, pas même sa femme... »

Et Vitel ? Veyrat aborde sans hésitation ce drame où, pourtant, il a tenu un rôle : ne s’en souvient-il donc pas ? — « Perlet prétend qu’il a voulu sauver le jeune enseigne. J’ai la preuve irrécusable du contraire : cette preuve est que son commis, Gallais, par qui il l’a envoyé chercher, était un agent de la Préfecture. » La constatation est probante, en effet : si Perlet n’avait pas prémédité de sacrifier le neveu de Fauche-Borel, ce n’est point un policier qu’il lui eût donné pour guide dès les premiers pas dans Paris. Comme Perlet ne proteste plus, le Président lui demande : — « Est-il vrai que Gallais était un agent de police ? — C’était un inspecteur, en effet, » répond piteusement le mouchard, et des murmures courent dans la foule, épouvantée de cet étalage d’horreurs, tandis que Veyrat continue l’écrasante déposition : — « Les 600 livres sterling, réclamées par Perlet à Fauche « pour sauver Vitel, » ne pouvaient en rien assurer le salut du malheureux, et Perlet le savait bien : il eût été impossible à quiconque de sauver Vitel une fois dénoncé ; je n’étais pas assez sot pour me compromettre