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dire quels étaient les membres de son Comité. » Et Perlet, du ton résolu de l’homme intègre auquel la menace de la mort même n’arracherait pas un secret d’honneur : — « Je l’ai dit au Roi à Londres ; je ne le dirai qu’à lui seul ; cela est de la plus haute importance. » Le Président essaie de lui faire comprendre combien sa cause gagnerait à une sincérité complète ; mais le mouchard, sur ce point, est intransigeant : — « Non ! non ! je ne veux rien ajouter. » — « Faites entrer le témoin Veyrat, » dit le Président.

Veyrat parait : c’est un homme de taille moyenne, aux yeux bleus, au front chauve avec une couronne de cheveux blonds grisonnants ; son visage est marqué de petite vérole. Une houle de curiosité passe sur l’assistance à l’aspect de ce personnage qui, depuis près de quinze ans, a personnifié pour les Parisiens la police exécutive et dont la terrifiante figure reste associée à tant de tragiques souvenirs. Il s’approche de la barre ; sa tenue, son maintien sont empreints d’une sorte d’autorité : il décline ses noms et qualités : Pierre-Hugues Veyrat, 58 ans, ancien inspecteur général de la Police, né à Genève. Il parait d’abord très ému : — « Perlet et moi avons été élevés ensemble, dit-il, nous sommes du même pays... Je suis très fâché d’avoir à dire la vérité dans une cause comme celle-ci... » Mais il reprend bientôt la froideur qui, manifestement, lui est coutumière ; on sent l’homme habitué à comparaître devant la Justice ; il dit bien ce qu’il faut et parle d’un ton qui impose la conviction. Au début, c’est un court exposé de ses relations avec Perlet : interrompues durant plusieurs années, ces relations se sont renouées vers 1804 : Perlet vint solliciter de lui un emploi, et obtint une place d’agent secret : il pouvait rendre de grands services au Gouvernement, en raison de ses relations à Londres et, particulièrement avec Fauche-Borel.

Le Président pose à Veyrat la question qu’on attend : — « Avez-vous des notions sur le Comité royal ? — Il n’existait pas ; c’était une chimère pour gagner de l’argent. » Une rumeur d’indignation s’élève de la foule ; Perlet tente encore de tenir tête à l’orage : on le voit qui, dans le bruit, s’agite et lève le bras comme pour un serment ; mais Veyrat, implacable : — « Personne ne sait les noms de ce Comité. — Le Roi les sait, » crie Perlet. Son ex-complice, celui qu’il a si bassement adulé, auquel il a juré obéissance passive, dévouement aveugle, le