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un Exposé réfutateur dont les badauds se gaudiront, cette dispute entre espions se présentant grosse de révélations distrayantes. Fauche, piqué au vif, confia sa riposte, qu’il voulut écrasante, à un spirituel avocat. Lombard de Langres, jadis protégé de Barras et ancien membre du Tribunal de cassation, connu par plusieurs publications et comédies du genre badin ou solennel. Lombard produisit un Mémoire acerbe, vibrant, écrit avec verve, puissamment argumenté. Fauche sortait victorieux de cet engagement ; mais le public, captivé par ce passionnant tournoi, jugeait bien que la lutte entre les adversaires n’était pas finie : il fallait que l’un d’eux restât sur le carreau. L’affaire, touchant à la politique, intéressait nombre de gens : les partisans de Bonaparte s’inquiétaient que le nom de leur héros fût mêlé à cette basse intrigue ; mais ils se réjouissaient, en revanche, du bon tour que sa police avait joué à Louis XVIII ; les royalistes s’indignaient des moyens inavouables employés par l’Usurpateur pour duper le Roi ; mais ils n’étaient pas fâchés que la lumière fût faite sur les trames des Fouché et des Dubois ; les âmes sensibles s’attachaient à la touchante figure du jeune Vitel, victime innocente d’une épouvantable machination et les indifférents mêmes suivaient avec amusement ce roman feuilleton qui les initiait aux mystères de la Police secrète, objet d’une perpétuelle attraction pour l’insatiable curiosité parisienne. Aussi l’émotion fut-elle vive quand Fauche-Borel annonça sa décision de traduire son calomniateur en justice. Le procès devait se plaider devant le Tribunal correctionnel de la Seine et, par un jugement préparatoire, les magistrats avaient ordonné l’audition du témoin Veyrat, dont la comparution à la barre promettait aux amateurs de causes émouvantes une audience à sensation.


Les débats s’ouvrirent le 17 mai 1816, à une heure de l’après-midi, devant la Chambre de police correctionnelle. Les curieux se pressaient aux portes en nombre si considérable que le Tribunal se détermina à quitter pour la circonstance son local ordinaire et à tenir son audience dans la salle plus vaste et plus commode de la Cour prévôtale. Tous les regards se fixaient sur le « célèbre » Fauche-Borel dont le calme presque jovial, l’air de parfaite sérénité, la bonne figure pleine et rasée