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empreint. A Paris, où il retourne bientôt, Fauche n’est pas moins échauffé : il s’est mis en tête de « terrasser ses ennemis, » terme générique où il englobera, non seulement l’infâme Perlet, mais encore Blacas qui l’a chassé de Gand, le duc Decazes qui lui ferma la porte des Tuileries, le marquis de la Maisonfort, celui-là même qui, à Hambourg, en 1798, lui a « soufflé » l’affaire Barras et qui est devenu maréchal de camp, conseiller d’État et directeur du contentieux de la maison du Roi. Il s’agite, remue ciel et terre, assiège tour à tour Talleyrand, le duc de Richelieu, le duc d’Otrante, lord Granville, Barras, Hardenberg, tous les ministres, tous les gens en place ; obtient des attestations courtoises, mais insignifiantes, telles qu’en accordent les gens soucieux de ne point se compromettre, sans s’aliéner toutefois un homme réputé dangereux. Fauche n’aperçoit pas que, en étalant ainsi les calomnies sous lesquelles il succombe, il les propage. Il y a des accusations d’une nature telle qu’il est impossible de s’en disculper, la répugnance et la crainte qu’elles suscitent empêchant qu’on les approfondisse ; celle de traîtrise et d’espionnage sont de ce nombre : à moins d’être héroïque, on préfère admettre aveuglément l’ignominie d’un homme peut-être innocent, que risquer, en prenant sa défense, de se perdre avec lui, s’il est coupable. Ainsi le malheureux Fauche, poliment reçu et copieusement plaint de ceux qu’il importunait de sempiternelles doléances, acceptait comme des témoignages d’estime et de solidarité ce qui était seulement une façon prudente de se débarrasser de lui. Il n’avançait pas, bien entendu, et, par maladresse insigne, il crut, dans ce désarroi, obtenir meilleur résultat en s’adressant à l’opinion publique. Il imprima un Précis de ses malheurs où il racontait toute son histoire depuis ses débuts dans la « politique » jusqu’à l’incrimination de Perlet, publiant ainsi à 3 000 exemplaires sa propre bévue et nommant des personnages qui eussent de beaucoup préféré ne point figurer dans cette anecdote. Le Roi, auquel l’auteur ne manqua pas d’envoyer son livre en hommage, fort mécontent qu’on divulguât les piteux dessous de sa diplomatie d’exil, ordonna la saisie de l’ouvrage ; mais trois cents exemplaires échappés à la confiscation suffirent à multiplier le nombre des « ennemis » de Fauche par un coefficient très respectable. Pour outrer le scandale, Perlet qui, lui, n’avait rien à perdre et nul ami à contrarier, répliqua au Précis par