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Grenoble et marchait sur Paris. Le gouvernement des Bourbons s’éboula plus rapidement encore qu’il ne s’était édifié ; Paris, qui regorgeait de hobereaux, de vieux chouans, d’émigrés ruinés, venus pour mettre le siège devant les bureaux et obtenir la récompense de leur opposition à l’usurpateur, Paris se vida en douze heures comme sous le coup de piston d’une pompe refoulante. Fauche-Borel file en poste pour ne s’arrêter qu’à Vienne, en Autriche ; de là il court à Gand, où s’est réfugié Louis XVIII ; il espère, grâce aux circonstances et aux bonnes nouvelles dont il se dit porteur, reconquérir la faveur du prince exilé. Il se présente, tout fringant, chez le Roi ; il est jeté à la porte, « invité, » — par un commissaire de police assisté de quinze carabiniers, — à quitter la ville. A Bruxelles, où on l’expédie, il est mis en prison, puis expulsé des Pays-Bas. Très penaud, fulminant tout de même, il revient à Vienne où il sait retrouver son souverain, le roi de Prusse, auquel il confie ses malheurs et qui lui donne un excellent conseil : celui de renoncer momentanément à la diplomatie et de rentrer à Neuchâtel « pour y attendre sa détermination. » Fauche s’éloigna donc, jurant que sa disgrâce atteignait tous les souverains de l’Europe : et certes, ceux-ci n’avaient pas besoin de ce surcroit de préoccupations ; on était au début de juin 1815 : le nom, obscur pour quelques jours encore, d’une pauvre bourgade belge, connue seulement des gens du pays et des routiers qui suivaient le pavé de Charleroi à Bruxelles, — Waterloo, — allait retentir par le monde entier et demeurer pour toujours fameux, parce que là allait se jouer le dernier acte du grand drame où se figurait avoir tenu un rôle le pauvre homme qui retournait, fatigué, ruiné, vaincu, bourrelé de rancunes et de regrets, vers sa petite libraire neuchâteloise qu’il n’aurait jamais dû quitter.


Vaincu, il l’était bien ; par sa présomption, sa maladresse, sa crédulité, son indiscrétion, son insatiable appétence des embarras et des profits. Tout autre aurait abdiqué : lui, non. Il n’a pas séjourné chez lui durant quinze jours que, rompant son ban, il repart, incorrigible, pour les aventures. Cette fois il se révèle stratège, conquiert à lui seul le fort de Joux, dont il prend possession au nom du Roi. On ne le suivra pas dans le détail de cette escapade triomphale, son récit échappant à tout contrôle par le ton d’exaltation, voire de divagation dont il est