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l’entretien d’une correspondance dont il n’est point rémunéré et dont le rapace Fauche recueille tous les fruits ! Une explication devient nécessaire : celle-ci ne sera plus amicale ; elle aura lieu, en présence de témoins, devant le juge de paix. Fauche apostrophe vertement l’ex-« loyal ami » d’antan : — « Parlez, Perlet, parlez ; dites-nous quelles dépenses exorbitantes vous a occasionnées ma correspondance et quels personnages composaient votre Comité royal ?... » Mais Perlet, d’abord balbutiant, se ressaisit bientôt : — « Je ne veux pas vous dire ces noms-là à vous ; la prudence me le défend ! » Et il s’évade de l’audience en homme qu’un affreux cauchemar importune, laissant dans l’esprit des témoins et des juges cette équivoque allusion à de honteux mystères. Tout le monde la comprit, — sauf Fauche : le hasard se chargea de le désaveugler.

Comme il était pressé par le besoin d’argent, il songea à récupérer les 180 livres sterling déposées par Vitel, en 1807, chez le banquier Hottinger : ayant consulté ses livres, celui-ci apprit à Fauche que, dix jours après la mort de l’enseigne, la somme avait été réquisitionnée par la Préfecture de police. Fauche alla donc rue de Jérusalem et sollicita une audience du comte Beugnot, successeur du baron Pasquier. Il fut accueilli avec égards et, dès les premiers mots, Beugnot l’interrompit d’un ton de condoléance : — « Je suis fâché, Monsieur Fauche, de vous apprendre que vous avez eu affaire au plus scélérat des hommes : Perlet a vendu votre malheureux neveu et vous a fait payer son crime. » En même temps, il sortait d’un carton trois lettres du mouchard au préfet Dubois et il mit ces papiers sous les yeux de son visiteur. Toute l’horrible trame était là dévoilée. Fauche sentit « son âme se briser ; » à l’aspect de cette écriture qu’il connaissait si bien, il demeurait sans voix, atterré, stupide, ne pouvant croire « que la perversité humaine pût aller aussi loin. » Sans doute, en même temps que l’indignation, surgissait tout à coup dans son esprit l’humiliante certitude de sa déchéance ; toute sa vie s’écroulait de ce coup imprévu, sa réputation d’habile politique, son renom de perspicacité et de clairvoyance ; l’Angleterre, la Suisse, la Prusse, la France allaient rire de ce diplomate avisé qui, ayant la prétention de pénétrer les plus ténébreux secrets d’Etat, se laisse jouer pendant huit ans par un drôle sans finesse et sans autorité.

C’est pourquoi, malgré l’évidence. Fauche ne pouvait se