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des sommes dont le total dépassait certainement le demi-million de francs, auquel on peut, sans jugement téméraire, ajouter plusieurs milliers de livres sterling, passés par ses mains à l’occasion de divers règlements de comptes dont il est permis de croire qu’il tira quelque profit personnel. S’il encaissait sans compter, il dépensait de même : on ne traverse pas l’Europe quinze ou vingt fois sans laisser beaucoup d’argent sur les routes ; où qu’il fût, Fauche aimait la vie plantureuse : il possédait à Londres une installation des plus confortables ; s’il s’était montré très chiche de subsides à l’égard de sa femme, vivant parcimonieusement à Neuchâtel, il témoignait à maintes reprises d’une magnificence de multi-millionnaire envers des personnalités plus marquantes. Ainsi apprenant que Louis XVIII avait souscrit, aux premiers temps de son émigration, un billet de 174 600 francs au sujet duquel il craignait d’être inquiété, Fauche racheta, en 1801, cette créance en s’engageant à n’en réclamer le capital et les intérêts qu’au jour où le Roi serait remonté sur le trône. Or, en cet automne de 1814, la Restauration était accomplie depuis six mois et Fauche songeait d’autant plus volontiers à cette vieille créance qu’il se trouvait à court d’argent et que, principal et arrérages accumulés, elle représentait actuellement une valeur de 365 700 francs. A défaut de la direction de l’Imprimerie nationale et du cordon de Saint-Michel, promis depuis longtemps et toujours attendus, cette somme eût été provisoirement la bien venue et Fauche se permit d’en réclamer le paiement par l’intermédiaire de M. de Blacas, ministre de la maison du Roi. Sa requête est reçue avec une singulière et inquiétante froideur : les insinuations de Perlet ont déjà fait du chemin. Fauche, sans rien comprendre encore au peu d’empressement apporté à récompenser ou, tout au moins, à désintéresser le vieux champion de la Monarchie qu’il se targue d’être, ose insister, sollicite une audience du Roi, ne l’obtient pas, essaye de voir les ministres, est évincé, écrit rapport sur rapport sans obtenir de réponse... C’est la disgrâce. De ces Tuileries où il s’était imaginé pénétrer en familier et disposer de toutes les influences en sa qualité de sûr ami des mauvais jours, les portes se ferment devant lui et il ne peut démêler, — du moins l’assure-t-il, — la cause de cette subite défaveur. Et Perlet se montre exigeant. Il se plaint d’être la dupe de Fauche, d’avoir sacrifié sa fortune et risqué sa vie pour