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conjugaux ; il était devenu, à son idée, un trop grand personnage pour perdre son temps à ces fadeurs. Il parle de « sa chaise de poste, » des illuminations de la ville, des dépêches par lui remises à Sa Majesté Prussienne ; — de son chez soi, si longtemps déserté, pas un mot. Et, tandis qu’il s’amusait à ces flatteuses bagatelles, Perlet, lui, tendait sa toile.

A l’époque où il était employé au secrétariat de la Préfecture, on peut penser qu’il n’avait pas négligé la précaution de compulser le dossier de Fauche-Borel et de s’informer, par Veyrat ou un autre, des notes que contenaient, sur le même personnage, les cartons du ministère de la Police. Il avait eu ainsi connaissance de la supplique par laquelle, en 1804, le libraire, emprisonné à la Force et menacé de l’échafaud, avait offert ses services à la police impériale et proposé de vendre au grand Juge les secrets des Princes exilés. Perlet n’oubliait pas davantage les causes assez troubles de son arrestation, en 1813, à la suite d’une visite de M. Gilles qui, de son propre aveu, servait d’intermédiaire entre Fauche et Desmarest. De cet ensemble de faits, Perlet conclut qu’il lui serait facile de parer le coup dont il était menacé, le jour inévitablement prochain où seraient divulguées sa mystification du faux Comité et sa participation criminelle à l’assassinat de Vitel. Il lui suffisait de répandre discrètement le bruit que ce Fauche-Borel, si prodigue de ses protestations de dévouement à son Roi bien-aimé, était depuis dix ans aux gages de la police de Bonaparte ; s’il avait marqué tant de zèle, c’était afin de mieux pénétrer les projets des Princes, d’en trafiquer plus lucrativement, et les cartons de la Préfecture contenaient la preuve de cette infamie. En cas d’explication orageuse, si Fauche se risquait à déceler la fourberie de Perlet, Perlet riposterait en dénonçant la trahison de Fauche, et pour assurer, au jour de l’explosion, l’effet de sa contre-mine, il s’occupait à en semer sournoisement la rumeur.

La perfide stratégie de Perlet était habile ; on a quelque indice qu’il y fut conseillé par le satanique machiavélisme de Montgaillard, lequel ne pardonnait pas à Fauche-Borel de lui avoir soufflé naguère le profit pécuniaire de la négociation Pichegru et gardait au cœur le cuisant souvenir de la raclée qui avait terminé leurs relations. Depuis son entrée dans la « diplomatie, » Fauche, — autant qu’il est possible de pénétrer les arcanes d’une comptabilité volontairement occulte, — avait reçu de l’Angleterre