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général Veyrat ; ayant attiré le jeune homme dans un piège, il l’avait livré à la Commission militaire pour s’approprier la misérable somme que possédait l’émissaire de Fauche et empocher également les six cents louis destinées à racheter la vie de Vitel. Et tout de suite, Perlet s’étendit sur les crimes de « ce monstre de Veyrat. » Contraint, pour assurer le libre fonctionnement du Comité, de s’associer à ce misérable, c’est en le « couvrant d’or » qu’il s’était ménagé son concours ; durant quatre ans, Perlet n’avait cessé de signaler au préfet Pasquier cet « être excécrable » comme le plus dangereux des traîtres ; mais Pasquier craignait Veyrat et n’osait le révoquer. Avec des frémissements d’horreur rétrospective, Perlet détailla les atroces persécutions qu’il avait souffertes de cet homme infâme : tout autre que lui aurait renoncé à poursuivre la grande entreprise à laquelle il avait sacrifié sa vie, tant lui était odieuse la complicité obligatoire de ce profond scélérat. Seule l’ardeur de son royalisme le soutenait dans cette cruelle épreuve. Très ému, Fauche réconforta Perlet de son mieux. L’heure des revanches ne sonnait-elle pas enfin pour les honnêtes gens ? Ils convinrent ensemble de ne point prendre de repos avant que Veyrat eût expié son crime, dussent-ils le chercher « jusqu’au centre de la terre. »

Sans pousser « jusqu’au centre de la terre, » Veyrat avait disparu et Perlet le savait bien. C’est pourquoi il lançait Fauche sur cette piste où celui-ci ne pourrait que « clabauder, » ce qui, en terme de vénerie, signifie « aboyer sans trouver la voie. » La vengeance est un mets qui peut attendre ; Fauche ne voulait pas se dispenser, du reste, de suivre son souverain, le roi de Prusse, se rendant en Angleterre, le traité signé. Il partit donc dans les premiers jours de juin. De Londres, Frédéric-Guillaume alla jusqu’à Neuchâtel, pour reprendre possession de sa principauté et Fauche-Borel l’y accompagna encore, flatté de se montrer à ses concitoyens dans l’avantageux appareil de la familiarité royale. Il n’avait pas revu sa ville depuis près de treize ans et il ne dit rien de la joie qu’il dut éprouver à retrouver son vieil immeuble de la rue de l’Hôpital et à voir achevée la maison neuve du Faubourg, dont il avait posé les fondations à l’automne de 1801 ; pas une allusion à sa femme qui vivait isolée depuis tant d’années, la seule fille qui lui restât s’étant mariée en Angleterre. Fauche ne dut pas s’attarder aux épanchements