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Sur quoi, satisfait de son début sur cette terre de France où sa tête avait été si longtemps mise à prix, Fauche partit pour Paris. Voyage triomphal ! Sur ces routes qu’il avait suivies, neuf ans auparavant, alors qu’il sortait des geôles de Bonaparte, traîné, lié de cordes, de brigade en brigade, par les sbires de l’usurpateur, il était maintenant, de la part des postillons et des maîtres de poste, cocardes de blanc, l’objet de prévenances obséquieuses. A l’air de ravissement et de béatitude répandu sur son visage, les gens devinaient son importance qu’il ne songeait pas à dissimuler : n’était-ce pas en grande partie grâce à ses efforts et à son habile diplomatie que ce beau pays, tout à la joie de la paix et du bon temps revenu, se trouvait délivré de l’odieuse tyrannie du Corse ? Bercé par le moelleux balancement de sa voiture, il ruminait les avantages enviables de sa situation. Ah ! comme il avait bien conduit sa barque et comme il se félicitait d’avoir délaissé sa petite librairie de la rue de l’Hôpital pour se lancer dans les grandes aventures ! Le roi de France, le prince régent d’Angleterre, le roi de Prusse comptaient au nombre de ses obligés, et leur confiance lui était pour toujours assurée ; dans sa valise il portait des dépêches adressées par le baron de Jacobi, ambassadeur de Prusse en Angleterre, au roi Frédéric-Guillaume, de séjour à Paris ; il détenait les secrets des cabinets de toute l’Europe et ses portefeuilles étaient bourrés de témoignages d’estime émanant de tout ce qui avait un nom dans la diplomatie : autant de traites à tirer sur la reconnaissance des vainqueurs d’aujourd’hui ! Son avenir se dessinait donc magnifique... Combien, à cette même heure, d’autres Perrettes évaluaient, comme lui, les profits immanquables du symbolique pot au lait, fondement fragile de leurs ambitions !

En arrivant à Paris, sitôt ses dépêches remises au roi de Prusse, Fauche-Borel courut chez Perlet qui tomba dans ses bras avec un grand cri de Vive le Roi ! Perlet était fou de bonheur ; il vivait, lui aussi, disait-il, depuis la chute du « tyran, » « les heures les plus douces de sa vie. » Quelle effusion ! Il ne supporta pas que son excellent ami Fauche logeât autre part que chez lui, et Fauche, touché de cet affectueux accueil, accepta avec joie cette hospitalité. Il s’installa donc, rue du Pont-de-Lodi, dans l’appartement que Perlet habitait avec sa fille Caroline, qui approchait de ses vingt ans. Cette douce intimité